L’ancien régime

Nos institutions étant très fortement tributaires de celles de l’ancien régime, il faut rappeler que dans son ouvrage consacré à la noblesse, le vicomte de Marsay (De l’âge des privilèges au temps des vanités) souligne :

« qu’à Rome, les armes d’abord et la magistrature ensuite donnèrent accès à la noblesse.

Il en fut de même en France »

 A ce titre, il faut évoquer la polémique qui a pu exister entre la noblesse d’épée et la noblesse de robe, en reprenant une étude de Christophe Levantal intitulée « La robe contre l’épée »

 « Sous Louis XIV, il est en effet hors de doute qu’une famille du second ordre doit servir si elle veut rester bien placée dans la hiérarchie nobiliaire.

 Il devient alors nettement préférable d’appartenir à une lignée relativement jeune dont les membres servent et ont presque toujours servi plutôt qu’à une maison antique qui n’a que peu de service passé et présenté à faire valoir.

Mais ce service, en ce qui nous concerne doit-il être exclusivement militaire c’est-à-dire effectué par la noblesse d’épée ou peut-il être également civil, c’est-à-dire accompli par la noblesse de robe ?

A cette question, nous allons répondre en utilisant deux textes :

d‘une part, en reprenant le préambule de l’Edit de 1696 qui précise que les services « ne se rendent pas toujours les armes à la main ».

A cette question, nous allons répondre en utilisant deux textes :

  • d’une part, en reprenant le préambule de l’Edit de 1696 qui précise que les services « ne se rendent pas toujours les armes à la main ».
  • d’autre part, en laissant s’exprimer le Chevalier de la Roque pour lequel « la vertu militaire n’est pas la seule possession noble de la société civile : la paix à ses illustres, aussi bien que la guerre et la science qui fait régner la justice ne mérite pas moins du public que la force qui conserve l’Etat.

Il sera démontré qu’un tel rappel historique n’est pas anodin, notamment lorsque l’on sait que c’est le roi qui rendait la justice et que la perte de ce privilège permettait de constater au IXème et au Xème siècles la résurgence de la féodalité.

Antoine Ferrand, ancien magistrat, dans son ouvrage consacré à « l’Esprit de l’histoire » le rappelle :

« Les rois perdirent également la justice : et c’est là que l’on peut marquer l’origine des justices seigneuriales. »

La justice du roi ne s’exerça plus sur la grande majorité de son royaume, elle s’exerça sur le petit nombre de grands fiefs qui relevaient immédiatement de la couronne.

Ces grands fiefs exerçaient la justice sur tout ce qui dépendait d’eux et en cas de refus de leur part, l’arrière vassal pouvait revenir jusqu’au trône et se pourvoir à la cour du roi ; et ce fut par la suite ce qui ramena peu à peu la justice royale ».

La similitude de cette situation avec celle que connaît le XXème siècle et le début du XXIème ne s’arrête pas là, puisque Antoine Ferrand ajoute :

« Ce droit féodal s’étendit dans toute l’Europe ou tout au moins dans tout ce qui avait composé l’empire. Mais en Allemagne et en France, il fut plus fort que partout ailleurs.

Le désir de se constituer souverain avait réuni tous ces grands vassaux contre l’autorité royale.

La jouissance de leur usurpation devait nécessairement les diviser.

Et chacun d’eux regarda alors son voisin comme un ennemi qu’il fallait toujours être prêt à attaquer.

La Nation française devint une société en état de guerre.

Chaque seigneur, cantonné dans ses possessions, fortifié dans son château, ne savait jamais le soir s’il n’aurait pas à se défendre le lendemain contre un ennemi jaloux.

Les vengeances ou les animosités personnelles devinrent une cause de guerre.

Pour des raisons qui tiennent aux progrès technologiques, ce tableau de la société française féodale peut être aisément transposé à l’échelle de l’Europe ainsi qu’à l’échelle de la planète.

Dans un tel contexte, de quelle justice s’agit-il ?

Au nom de qui est-elle rendue ?

Sur quels critères ?

L’indépendance de la magistrature

Et c’est dans ce contexte que Claude SOULE consacre une partie de son ouvrage intitulé « Les états généraux en France » (Editions Hatier) à l’organisation de la justice.

Il précise :

« La justice fut l’objet permanent des préoccupations des Etats Généraux.

C’est en effet un domaine où l’arbitraire pouvait être le plus durement ressenti »

Le bon fonctionnement de cette administration correspond à cette soif qui habite tout individu, de voir triompher ce qu’il considère être ses droits.

Pour parvenir à cette fin, les Etats Généraux portèrent leurs efforts tout à la fois sur le statut de la Magistrature et sur les règles de la procédure.

Il est absolument impossible de comprendre le fonctionnement de nos institutions si l’on élude les rapports complexes qui ont toujours existé entre le pouvoir et la justice.

Or, l’avocat, s’il est indispensable, n’est pas revêtu des habits du pouvoir ; il ne peut l’incarner puisqu’il ne bénéficie pas lui-même, contrairement aux magistrats, de cette délégation autrefois consentie par le roi, aujourd’hui par la République, qui permet de rendre la justice.

C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que le statut d’avocat ne permettait pas de façon aussi systématique d’accéder à la noblesse comme le permettaient certaines charges et notamment la qualité de Président du Parlement.

Retenons dans l’ouvrage de Claude SOULE tout ce qui sur le plan institutionnel a permis peu à peu de doter la profession d’avocat de lettres de noblesse qu’elle ne tenait ni du roi ni de quiconque mais qui tenait au respect de principes supérieurs qui allaient être notamment repris dans la Déclaration des Droits de l’Homme.

Dès leur première réunion, les Etats Généraux avaient demandé que les tribunaux délivrent « les parties au moindre coûts et frais.

En effet, la vénalité des charges avait conduit les magistrats à réclamer des sommes sans cesse plus élevées pour leur permettre d’assurer leur subsistance.

Pour répondre à la revendication des Etats, Charles V fit un devoir aux avocats et procureurs de dispenser gratuitement leurs services aux pauvres.

Il voulait par là permettre aux plus humbles d’avoir recours à la justice »

C’était l’apparition de ce que nous appelons aujourd’hui l’assistance judiciaire, devenue l’aide judictionnelle.

Rassembler après une longue période de troubles et d’arbitraire, les Etats de Tours, en 1484, s’élevèrent avec force contre la vénalité des charges qui conduisait les Magistrats à réclamer « « grandes espices et trop excessives ».

Pour y remédier l’assemblée proposait que les juges fussent désignés par l’élection de leurs pairs ou de leurs supérieurs pour écarter les sujets douteux préoccupés uniquement par le profit qu’ils pourraient tirer de leurs fonctions.

Allant plus loin, les députés demandèrent que fut assurée l’inamovibilité qui, d’ailleurs avait été reconnue par Louis XI, mais n’avait guère été respectée.

Enfin, ils suggérèrent que les gages du personnel judiciaire fussent pris en charge par le Trésor.

Ces vœux reçurent l’agrément du roi mais il fallut attendre les années 1493 et 1498 pour que deux ordonnances viennent sanctionner ces principes ».

Ces mesures s’avérèrent insuffisantes.

Durant la première moitié du XVIème siècle, la situation ne fit que se détériorer.

Lorsque les Etats se réunirent en 1560, ils ne purent que constater cette dégradation à laquelle les ordonnances royales n’avaient pu remédier.

La vénalité des charges était la source de tels abus qu’elle fit l’unanimité des trois ordres qui en réclamèrent avec énergie l’abrogation.

Dans son zèle, le tiers proposa même de donner son aide financière au Trésor pour compenser la perte qu’aurait représentée cette mesure.

En remplacement, les députés proposèrent un système, variant dans ses modalités selon les ordres, mais qui aboutissaient à faire élire plusieurs candidats entre lesquels le roi devait choisir le meilleur.

Enfin, pour garantir la qualité du personnel judiciaire, les Etats préconisèrent que les candidats fussent soumis à un examen et soulignèrent la nécessité d’écarter d’un même Parlement des parents trop proches et d’éviter ainsi la trop grande influence d’une seule famille.

Abolie en principe après 1560, la vénalité des charges fut rétablie en 1568, et fit l’objet des réclamations véhémentes des Etats de 1576.

Comme leurs prédécesseurs, les députés préconisèrent le système de l’élection.

Ils exigèrent, aussi, certaines conditions d’âge et de formation pratique.

Certaines incompatibilité de fonctions leurs parurent enfin nécessaires.

Toutes ces mesures tendaient à assurer la qualification du personnel judiciaire tout en garantissant son indépendance.

Pour éviter la corruption, le tiers demanda, de surcroît, que la remise de présents aux Magistrats fut interdite ».

Il faut avouer qu’au moment où la réforme de la justice ranime certaines passions et met en évidence les perversions du pouvoir, ne pas rappeler ce que furent d’ores et déjà les débats du passé à ce propos, constituerait une erreur d’autant plus grave que la place de l’Avocat est elle-même tributaire de la place de l’institution judiciaire et par conséquent du statut reconnu au magistrat.

Encore une fois, il n’y a rien de nouveau.

De même lorsqu’il aborde l’indépendance de la Magistrature, Claude SOULE évoque :

« L’amélioration des règles de procédure ».

Dès le XIVème siècle, les Etats se préoccupèrent de renforcer l’organisation judiciaire, seule susceptible de lutter contre l’arbitraire au sein de la société.

L’Ordonnance rendue en 1356 sur la demande des Etats Généraux contribua tout à la fois à donner la primauté à la juridiction royale et à améliorer la procédure elle-même.

En particulier, les Juges furent sommés « de faire bon et bref accomplissement de justice en délivrant les parties le plus tôt et le plus hâtivement qu’ils pourront ».

En 1484, les Députés s’inquiétèrent à nouveau que « les formes du droit fussent gardées » et demandèrent notamment que fut garanti le droit d’appel.

En 1560, les Députés s’élevèrent contre le principe de l’évocation qui permettait au Conseil du roi de soustraire, au gré de sa fantaisie, un procès, quelle que soit la juridiction devant laquelle il était porté.

Ils suggérèrent aussi divers moyens qui selon eux devaient aboutir à un meilleur fonctionnement de la justice.

Le Tiers n’alla-t-il pas jusqu’à préconiser l’unification de la procédure sur tout le royaume ?

Cette mesure dut paraître tout à fait révolutionnaire.

Clergé et noblesse demandèrent, une nouvelle fois, que les plaideurs dépourvus de moyens pussent bénéficier du concours gratuit de tout le personnel judiciaire.

Si en 1576, les Etats suggérèrent encore diverses réformes pour améliorer l’administration de la justice, le Tiers, soutenu dans ses efforts par le Clergé, revendiqua surtout la suppression des privilèges de compétence, et satisfaction leur fut donnée.

Unanimes, les députés s’élevèrent contre l’action du Conseil du Roi qui s’érigeait au-dessus des Parlements et prenait de plus en plus de liberté avec le droit.

Sur la demande des Etats, diverses mesures furent prises tendant à accélérer la procédure :

l’inscription au rôle pour éviter les tours de faveur ;

  • publicité des audiences pour empêcher les influences de s’exercer ;
  • respect de certaines formes pour rendre les décisions.

Les Etats de 1614 se firent encore l’écho de diverses récriminations.

Le Tiers, notamment, demanda que tout prisonnier soit obligatoirement interrogé dans les vingt quatre heures suivant son arrestation afin d’éviter les détentions arbitraires.

Force est de constater à quel point ces questions, concernant l’indépendance de la Magistrature et le respect de la procédure, demeurent étroitement liées et totalement d’actualité lorsqu’il s’agit d’aborder le domaine de la vie économique, les pesanteurs de l’Institution judiciaire, ou bien les influences plus ou moins propices à favoriser l’arbitraire.

Afin de clore ce rappel historique consacré aux Etats Généraux, convient-il tout de même d’évoquer la tentation qui a existé de voir créer un quatrième Etat qui aurait été situé à mi-chemin entre le Tiers et l’ancienne noblesse ainsi que le souligne également Christophe LEVANTAL.

Il rappelle notamment qu’en 1567-1568, du BELLAY avait publié à Paris une œuvre au titre significatif : « L’ample discours au Roi sur le fait des quatre Etats du Royaume de France.

En 1580, Michel de MONTAIGNE avait fait imprimer à Bordeaux la première édition de ses Essais.

Dans le texte de la quatrième édition, il écrivait : « un quatrième Etat de gens maniant les procès qui étaient joints au trois anciens de l’Eglise, de la Noblesse et du Peuple… ».

Il a été permis de constater que la France n’a pas entériné cette nouvelle division de la Société, et que, par conséquent, la Noblesse de robe faisait bien partie juridiquement du second ordre.

Le regard de l’historien qui s’attardera sur les rivalités qui opposèrent la noblesse d’épée à la noblesse de robe, ainsi que sur l’origine de l’une et de l’autre, ne retiendra cependant lorsqu’il s’agira de tirer la leçon de ce passé que la notion de service, laquelle notion devra elle-même s’adapter aux exigences du Prince.

Les intérêts du Monarque lui ont dicté sa conduite et l’on amené à privilégier ceux qui soutiennent sa fonction et lui assurent autorité et pérennité.

Indépendamment des considérations historiques, l’évocation de cette rivalité permet de mettre en évidence la notion de Mérite personnel.

C’est ce que rappelle Christophe LEVENTAL en citant une fois de plus « Le Chevalier de la Roque » : « Il y a plus de vertu à se distinguer du commun par un mérite personnel, qu’à recevoir des autres un bien auquel on n’a rien contribué et que la fortune seule a fait trouver en naissant dans le souvenir des vertus et des actions glorieuses de ceux qui nous ont précédés ».

Enfin, l’auteur de cette étude consacrée à la Robe contre l’Epée, cite la phrase étonnante d’Alexandre BELLEGUISE, auteur en 1654 d’un autre Traité de la Noblesse et pour lequel simplement « les héros d’Epée n’ont pas moins de gloire que ceux de la Robe ».

La séparation des pouvoirs

Lorsque MONTESQUIEU dans « l’Esprit des Lois » explique la raison d’être de la séparation des pouvoirs et par conséquent la nécessité de son existence dans un pays qui veut tendre vers la démocratie, il laisse très peu de place à la critique puisqu’il s’est toujours avéré que les différentes formes de tyrannie n’ont jamais souhaité favoriser une institution susceptible de juguler, voire même de remettre en cause tant le principe que les différents modes d’exercice de leurs pouvoirs.

C’est ainsi que MONTESQUIEU avait déjà décrit les symptômes d’un malaise susceptible d’affecter tout système politique et notamment la démocratie puisqu’il écrit :

« Mais lorsque dans un gouvernement populaire, les Lois ont cessé d’être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la République, l’Etat est déjà perdu. »

« Le peuple tombe dans ce malheur lorsque ceux à qui il se confie, voulant cacher leur propre corruption, cherchent à le corrompre. »

« Pour qu’il ne voit par leurs ambitions, ils ne lui parlent que de sa grandeur, pour qu’ils ne perçoivent pas son avarice, ils flattent sans cesse la sienne ».

« La corruption augmentera parmi les corrupteurs et elle augmentera parmi ceux qui sont déjà corrompus ».

Le peuple se distribuera tous les deniers publics et comme il aura joint à sa paresse la gestion des affaires, il voudra joindre à sa pauvreté les amusements de luxe mais avec sa paresse et son luxe, il n’y aura que le Trésor Public qui puisse être un objet pour lui. »

En effet, y a t-il plus riche victime que l’Etat pour un voleur ?

Tirant la leçon d’une histoire de l’humanité déjà longue, MONTESQUIEU a compris que toute institution est intimement liée à la psychologie et à l’inconscient collectif de chaque peuple.

Il écrit dans « l’Esprit des Lois » :

« Il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice ».

Extrait du livre « L’avocat face à deux mondialisations : Les entreprises et les mafias » par Roland SANVTI (éditions EDIPRIM)

 

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