INTRODUCTION
La mondialisation est-elle une source de non droit ?

« Dieu se rit des hommes qui chérissent les causes dont ils déplorent les effets»
Jacques-Bénigne Bossuet

Il plait à Eric Zemmour d’emprunter à Jacques-Bénigne Bossuet cette sentence qui résume mieux qu’un long discours cet éternel paradoxe qui confronte l’être humain aux orientations de son destin.

La mondialisation dans son approche institutionnelle est elle-même le résultat d’un paradoxe puisqu’elle procède à la fois d’une aspiration des peuples à la liberté et à la démocratie et de la volonté de femmes et d’hommes n’ayant pas d’autre souci que celui d’imposer leur pouvoir sur tout ou partie de l’humanité.

Ce paradoxe va être décliné sous la forme de contradictions apparentes ou réelles qui permettent d’affirmer que, dans cette nouvelle forme de guerre, il n’existe pas de complot fomenté par un quelconque deus ex machina mais plus simplement des convergences d’intérêts égocentriques qui évoluent au gré des circonstances et des évènements.

La mondialisation a permis de mettre en évidence cette confrontation de l’intérêt général à l’intérêt particulier, et surtout, la suprématie qu’imposent ces institutions jusqu’alors invisibles, celles que constituent les organisations criminelles et terroristes.

La guerre a toujours existé, le césarisme, cette maladie du pouvoir que diagnostique Konrad Lorentz a endeuillé des peuples au point que le vingtième siècle aura vu l’occident mettre un terme à ces conflits par la voie des armes conventionnelles et les poursuivre, par l’intermédiaire d’autres peuples et par l’utilisation d’autres armes moins spectaculaires, plus insidieuses et non moins efficaces.

L’étude des moyens utilisés par les organisations criminelles aboutit à une conclusion tout à fait édifiante sur l’efficacité de ces moyens qui balayent d’un revers de main les croyances, les dogmes, les théories politiques et économiques pour n’imposer qu’une seule règle, celle de la force et de la violence, source de profit considérable et moyen supplémentaire d’accompagner sa conquête par la corruption.

C’est pourquoi, la finance ayant acquis une telle importance à la fin du vingtième siècle, il est permis de s’interroger sur sa prise de contrôle par des organisations criminelles et terroristes.

Cette prise de contrôle s’est effectuée progressivement, parfois de façon violente par la terreur qu’elle impose appliquant la peine de mort et ce, sans aucune prescription possible, mais le plus souvent de façon insidieuse notamment par la corruption.

Cette corruption des hommes s’est effectuée au travers des institutions juridiques et comptables favorisant l’opacité, de la mise en place de fusibles et de la dérèglementation.

Le malaise qui envahit les citoyens du monde n’a pas atteint partout la même acuité puisqu’il dépend du niveau de conscience morale et politique de chaque peuple, de son niveau d’information.

Dans ce contexte, l’explosion d’internet a permis d’apporter le plus souvent un démenti cinglant au discours politique ambiant, ce qui confronte le citoyen à des situations qui le contraigne à exercer des choix qui dépassent le cadre légal qu’impose la démocratie.

C’est pourquoi la mondialisation impose la transparence et la traçabilité : les vraies questions étant :

 qui vous opprime ?
 qui vous protège ?
 quelle est la provenance de l’argent ?

Seule la connaissance, l’information des citoyens peut permettre de faire évoluer les pensées et les actes et d’établir surtout leur relation de cause à effet sur la vie quotidienne de chacun.

Bien plus encore que dans les siècles passés, la justice occupe une place tout à fait particulière puisqu’elle doit garantir que la démocratie ne soit pas vécue seulement au moment des élections mais qu’elle soit présente chaque jour puisque chaque acte, chaque fait mérite une qualification morale et juridique.

Toute erreur de qualification d’un acte ou d’un fait sur le plan moral et juridique, est une source de perturbation puis d’erreur d’orientation dans le choix de chacun.

Force est de constater aujourd’hui que l’alternative qui s’offre aux citoyens du monde est celle du choix entre un système mafieux, c’est-à-dire la forme moderne de la barbarie et du système féodal, et la voie démocratique qui ne peut résulter que de l’exercice de ses pouvoirs régaliens par l’Etat et, par conséquent, l’avènement d’une justice à laquelle tout le monde aspire et dont le pouvoir politique n’a jamais voulu.

I. L’ETAT ET L’ORDRE PUBLIC A L’HEURE DE LA MONDIALISATION

La démocratie n’existe pas sans la justice, laquelle n’existe pas sans l’État.

Or, la démocratie suivant la définition d’Abraham Lincoln c’est « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».

En raison des forces en présence et contrairement à certaines considérations économiques et politiques, ce gouvernement suppose l’existence d’un l’État et l’application pour tous de la règle de droit.

Le droit constitutionnel français a puisé ses sources dans l’histoire du droit et des institutions et, force est d’admettre à ce titre que la France doit à Napoléon sa colonne vertébrale institutionnelle.
Le présent article ne permettant pas ce développement, retenons simplement que le citoyen français, plus que tout autre, a effectivement bénéficié de ce cadre institutionnel avec un idéal vers lequel il devait tendre, le respect de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen.
La mondialisation présente également ce paradoxe, celui d’offrir aux peuples de tendre vers cet idéal et celui d’offrir aux forces en présence, la possibilité de détruire le cadre institutionnel susceptible de préserver les droits des citoyens du monde.
Dans chaque pays, ces forces se concentrent sous la forme de pouvoirs qui s’exercent dans un cadre institutionnel, légal et juridique, ce qui suppose qu’il existe, par délégation, un gardien du pacte social qui ne peut être que l’État, le professeur Georges Burdeau rappelant que l’État est avant tout un phénomène juridique.

L’État n’existe que du fait d’une acceptation de son pouvoir par les citoyens, c’est-à-dire, ajoute le Professeur Georges Burdeau, lorsque « les gouvernés voient en lui l’agent de réalisation de l’idée de droit qu’ils considèrent comme devant procurer la réalisation du bien commun.

Le pouvoir est ainsi dans sa raison d’être, solidaire de l’idée de droit ».

Pour Georges Burdeau : « L’État est formé lorsque le pouvoir a son siège, non plus dans homme, mais dans une institution »
En résumé, « L’État, c’est le pouvoir institutionnalisé ».

Or, la mondialisation a mis en évidence qu’il existait à l’intérieur même des états, à côté des états, puis au-dessus des états, des pouvoirs dont les forces pouvaient être effectivement concentrées dans la recherche et l’avènement d’un pouvoir au seul service de leurs intérêts particuliers.

Cette constatation a une vocation universelle parfaitement analysée par Hobbes dans son étude DE CIVE, lorsqu’il considère que, dans l’état de nature, la force fait le droit « might is right », affirmant « en l’état naturel des hommes, un puissance assurée et qui ne souffre point de résistance, confère le droit de régner et de commander à ceux qui ne peuvent pas résister ».

Le passage de la force au droit suppose l’existence d’un pacte, lequel évoluera de la soumission à l’adhésion pour parvenir à affirmer la souveraineté de la nation, que consacre Locke en opposition à Hobbes, qui considère qu’il faut un accord préalable pour légitimer l’autorité et l’obéissance à cette autorité « la paix est la défense de tous ».

C’est pourquoi, il convient d’emprunter à Tocqueville dans son ouvrage « de la démocratie en Amérique » ce passage :

« De quelque côté que nous jetions nos regards, nous apercevons la même révolution qui se continue dans tout l’univers chrétien.
Partout on a vu les divers incidents de la vie des peuples tourner au profit de la démocratie ; tous les hommes l’ont aidée de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceux qui ont combattu pour elle, et ceux mêmes qui se sont déclarés ses ennemis ; tous ont été poussés pêle-mêle dans la même voie et tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu.

Le développement graduel de l’égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine, tous les évènements comme tous les hommes servent à son développement ».

L’exercice du pouvoir politique va dépendre du niveau d’information dont dispose chaque citoyen.

Parce qu’il a consacré de nombreux ouvrages à l’étude du comportement animal et humain, il était important de souligner à quel point Konrad LORENZ attache une attention toute particulière à la place qu’occupe aujourd’hui la société industrielle et au pouvoir qu’il reconnaît aux grandes entreprises multinationales, puisqu’il considère que ces géants dominent déjà une très grande partie du monde économique.

Tenant compte des évènements tirés de l’histoire de l’humanité, il convient d’emprunter, encore une fois à Konrad LORENZ l’hypothèse la plus favorable, celle d’une démocratie nantie d’un pouvoir vertueux.

« Même dans le cadre d’une démarche moralement irréprochable et véritablement démocratique, un trop grand pouvoir se concentre entre les mains d’un trop petit nombre d’hommes.

Très peu d’hommes :

 si intelligents et si intègres qu’ils soient
 sont capables de conserver leur pleine humanité dans des positions de pouvoir.

La folie des césars est une maladie très réelle.

La question que pose ORTEGA Y GASSET en 1926 dans « La révolte des masses »

« Qui commande dans le monde »

a pris toute sa mesure aujourd’hui avec la mondialisation.

Or, ce pacte entre le souverain et les gouvernés a pris une toute autre dimension, notamment à la suite de la révolution française et de l’abolition des privilèges la nuit du 4 août 1789 et, bien entendu, avec l’aspiration à plus de démocratie puisque le peuple d’hier, c’est à dire les gouvernés, sont devenus souverains justifiant par la même l’existence de l’État.

La traduction juridique de ce pacte a été la loi, ce qui suppose là encore son application de façon égale et juste.

Ce qui est tout à fait remarquable, c’est que Tocqueville, étudiant de façon minutieuse la société et le régime américain, avait d’ores et déjà perçu et analysé tous les ingrédients qui allaient participer à sa réussite ou à son échec.

Ces ingrédients, qui procèdent de la nature profonde de tout être humain, de ses aspirations et de ses peurs, ont également une dimension universelle dont la mondialisation a permis l’émergence.

Il en résulte que le pouvoir ne tient sa légitimité que de la loi, elle-même élaborée et promulguée au nom du peuple, et par conséquent, dans une démocratie à son service.

Or, le monde des affaires et notamment de la finance, dans tous pays démocratiques, doit être soumis à la souveraineté de l’Etat et par conséquent des citoyens et ce, au nom du respect de l’ordre public.

Dans son Traité élémentaire de droit commercial édité en 1972, le Professeur René Roblot, faisait remarquer concernant l’ordre public :

« Il faut noter pourtant l’apparition dans le droit commercial de la notion d’ordre public. Elle était étrangère aux spéculations commerciales, car cet ordre public était autrefois l’ordre de la cité, de la famille ou du groupement.

Mais le jour où l’Etat s’est inquiété de la production et de la circulation des richesses, et surtout le jour où les rivalités entre Etats sont nées, des considérations nouvelles ont augmenté le domaine de l’ordre public.

Le maintien de cet ordre exige des sanctions répressives. »

C’est pourquoi l’impérium de la loi se heurte à des intérêts particuliers qui vont, soit l’aménager, soit la contourner, soit empêcher son application, soit tout simplement en nier l’existence, autant de preuves de la disparition de la souveraineté d’un État.

II. DU TRIBALISME AU SYSTEME MAFIEUX EN PASSANT PAR LA FEODALITE

Cette maladie, le césarisme, s’est très souvent manifestée dans l’histoire sous la forme de conquêtes, ce qui explique que la guerre a toujours existé entre des tribus, des clans, des états, des nations et des peuples.

Pendant longtemps, ces guerres de conquête ont été contenues par l’existence de frontières naturelles, qu’il s’agisse de montagnes ou d’océans, puis, par les frontières et les traités venant ainsi sacraliser la souveraineté des États.

C’est la remise en cause de la souveraineté des états qui a effectivement permis la résurgence d’une féodalité à l’échelle planétaire.

Puisque la souveraineté est synonyme de pouvoir, il faut citer Bertrand BADIÉ :

« Les États ont perdu le monopole des guerres au profit d’entrepreneurs multiples, religieux, tribaux, ethniques, claniques mais aussi économiques ou mafieux qui n’ont que faire de la souveraineté.
A l’heure de la privatisation, de la violence et de la criminalisation de la politique, plus aucune république n’est une et indivisible ».

Le recours à la barbarie et à la violence par les organisations criminelles leur aura permis de se doter progressivement de moyens financiers considérables, leur permettant de poursuivre cette guerre de conquête en utilisant la violence comme moyen de pression et la corruption comme moyen d’appropriation.

Il faut rappeler que beaucoup de pays et notamment la France, ont été longtemps partagés entre pays de droit coutumier et pays de droit écrit, la notion de pays étant elle-même à rapprocher de la notion de peuple.

La coutume demeure toujours présente, soit qu’elle soit inscrite dans des textes, soit qu’elle se transmette par l’exemple et par la parole et se concrétise sous la forme d’actes.

Les tribus, les clans, les organisations criminelles et terroristes ont leurs coutumes, continuent d’exister et perdurent au-delà des frontières, la mondialisation ayant permis de rendre ostensible ce qui était invisible.

Les organisations criminelles constituent elles-mêmes des institutions demeurées longtemps invisibles, dont la mondialisation a révélé un pouvoir d’autant plus puissant que les états n’exercent plus leurs pouvoirs régaliens.

Ces systèmes, dont la structure ancestrale repose sur la famille, sur les liens qui en découlent et qui constituent la tribu ou le clan, préexistent et sont sous-jacents à tout autre système politique apparent et officiel.

Le rapport de force entre ces deux systèmes détermine le niveau de démocratie.

En effet, l’impérium qu’impose la suprématie des organisations criminelles et terroristes balaye toute considération politique, économique, philosophique et religieuse.

Ces institutions longtemps invisibles, devenues aujourd’hui omniprésentes sur la scène internationale, constituent un système qui a sa hiérarchie et les marches pour la gravir procèdent d’une obéissance totale qui ne souffre aucune exception, la sanction étant le plus souvent la mort.

Il est évident que pour exister et se perpétuer, ces organisations criminelles de type mafieux ont eu à toutes les époques à leurs services, des femmes et des hommes dont ils pouvaient tirer parti, le plus souvent parfaitement rétribués, mais qui n’existent qu’autant qu’ils peuvent être utilisés en fonction de la compétence ou du pouvoir dont ils disposent au sein de la société civile.

Ceux qui sont au service de ces organisations criminelles, sont autant d’esclaves utilisés comme les maillons intermédiaires qui vont permettre sans apparaître de façon ostensibles, de peser sur la vie économique et sociale de façon redoutablement efficace.

Pendant longtemps, le pouvoir des organisations criminelles a été occulté par ceux qui en dépendaient plus ou moins directement et sous-estimé par les pouvoirs publics des pays dans lesquels le système se propageait.

Ce phénomène justifiait une réflexion en profondeur qui est aujourd’hui menée dans le cadre du Département de Recherche sur l’Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines et ce, dans le cadre de la faculté de droit Panthéon Assas.

Retenons également la réflexion de Fabrizio Calvi puisqu’un hebdomadaire, au mois de février 1993 consacrait un article à la mafia intitulé : « main basse sur l’Europe ».

« La mafia a tout ce que l’Europe n’a pas : une langue commune, des racines à l’épreuve des bombes, une diplomatie expéditive, une discipline romaine, et aucun problème économique. Le combat est pour l’instant inégal. »

La dimension planétaire du crime organisé méritait les honneurs d’un « Que sais-je », le crime organisé de Xavier Raufer et Stéphane Quéré, lesquels rappellent que cette notion a été parfaitement définie :

 tout d’abord, à l’occasion de la conférence de Naples les 21 et 23 novembre 1994 « organisation de groupes aux fins d’activités criminelles, présence de liens hiérarchiques ou de relations personnelles permettant à certains individus de diriger le groupe ; recours à la violence, à l’intimidation et à la corruption ; blanchiment de profits illicites »

Puis, par l’Union européenne (Enfopol 161/1994, annexe C) qui retient onze critères, parmi lesquels 6 doivent être constitués dont obligatoirement les critères n° 1, 5 et 11.

1/ collaboration de plus de deux personnes :
2/ tâches spécifiques attribuées à chacune d’entre elles ;
3/ sur une période de temps assez longue ou indéterminée ;
4/ avec une forme de discipline et de contrôle ;
5/ (personnes) suspectées d’avoir commis des infractions pénales graves ;
6/ agissant au niveau international ;
7/ recourant à la violence ou d’autres moyens d’intimidation ;
8/ utilisant des structures commerciales ou de type commercial ;
9/ se livrant au blanchiment de l’argent ;
10/ exerçant une influence sur les milieux politiques, les médias, l’administration publique, le pouvoir judiciaire ou l’économie ;
11/ agissant pour le profit et/ou pour le pouvoir.

« Ce qui compte ce n’est pas la rigueur de la peine, c’est la certitude de son application»

Un grand criminologue italien, Beccaria, a établi ce principe qui permet d’affirmer que tous systèmes politiques, voire toutes organisations criminelles pouvant associer à la fois la certitude de l’application et la rigueur de la peine détiennent un pouvoir sans partage.

Dans certains états d’Amérique du Sud, notamment la Colombie et le Mexique, les guerres contre les cartels ont provoqué des milliers de morts, et aux U.S.A., en Europe, les trafics d’êtres humains, de la drogue, ont doté les organisations criminelles de moyens financiers considérables.

En Italie, la lutte des carabiniers, des policiers et des magistrats contre les différentes mafias, s’est traduite par le sacrifice de ces femmes et de ces hommes au service de ce qu’ils considéraient devoir être un état de droit.

Ainsi que le soulignait lui-même le juge, Giovanni Falcone, avant d’être assassiné le 23 mai 1992 « je suis un serviteur de l’État en terre infidèle… », puisqu’à la suite du maxi procès de Palerme, des femmes et des enfants ont été assassinés par représailles.

Lorsque l’un des assassins du juge Giovanni Falcone a été arrêté, il a fallu la protection des carabiniers pour empêcher la foule de le tuer puisque lui-même, après avoir enlevé un jeune adolescent, fils d’un repenti, l’avait mutilé et avait fait disparaître son corps dans l’acide.

Les tortures qui sont infligées à des femmes pour les conduire à la prostitution, les mutilations subies par des enfants pour prélever leurs organes, les divers trafics augmentent le pactole d’organisations criminelles qui n’auront ensuite, pour seul souci, que de l’utiliser pour corrompre et pénétrer ainsi l’économie légale qu’ils participeront à détruire.

Nombreux sont aujourd’hui les ouvrages qui mettent en évidence les liens qui existent entre cet argent d’origine criminelle, son recyclage par l’intermédiaire des marchés financiers et, par conséquent, la puissance acquise par les banques et les établissements financiers à travers le monde.

Lorsqu’Alain Bauer et Xavier Raufer publiaient en 2002 leur ouvrage « la guerre ne fait que commencer », ils avaient déjà accumulé une connaissance et une documentation concernant le caractère criminogène de cette nouvelle forme de guerre économique et financière qui allaient se propager et n’épargner aucun territoire de cette planète.

Ils font partis des sentinelles qui ont eu le mérite d’essayer d’alerter les pouvoirs publics et d’essayer d’informer les citoyens au travers de la lecture de leurs articles et des médias audio-visuels.

Il en a été ainsi de Marie-Christine DUPUIS dont les ouvrages décrivent cette pénétration de l’argent criminel dans l’économie légale et surtout la mainmise des organisations mafieuses sur des établissements bancaires et financiers ainsi que sur les intermédiaires et les circuits qui favorisent les opérations de blanchiment. –

Le point d’orgue allait être atteint avec le trafic de la drogue, lorsqu’il s’est agi d’établir la relation de cause à effet entre la violence que génère ce type de trafic, ses effets dévastateurs sur la population et les profits qui en résultent, permettant ainsi de bouleverser toutes les règles économiques et financières enseignées dans les universités.

Il faut rappeler que des médecins se sont penchés sur les effets dévastateurs de la drogue en général, sur le cerveau humain à tel point qu’il a pu être affirmé, non seulement aux Etats Unis mais également en Europe, que la légalisation de la drogue constituerait un génocide.

Déjà en 1992, le sénateur Gérard Larcher, au nom de la mission commune d’information chargée d’examiner la mise en place et le fonctionnement de la convention de l’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 sur le trafic de la drogue dans l’espace Schengen, résumait en quelques lignes la mesure des enjeux.

« Une semaine avant sa mort, le Juge Falcone déclarait : « le danger de la drogue pour l’Europe, c’est le Hezbolah, plus un milliard de dollars »
Est-il besoin de rappeler quelques chiffres ? ; ils ne pourront, de toute façon, qu’être approximatifs :

 en avril 2000 : l’observatoire de la mondialisation, sous la plume de Christian de Brie, dans le monde diplomatique, évoquait les profits tirés annuellement du trafic de drogue comme pouvant représenter de trois cents à cinq cents milliards de dollars par an,

 en 2009, sous le titre « l’ONU dénonce l’emprise de la drogue sur l’Afghanistan » le rapporteur Antonio Maria COSTA indiquait que le chiffre d’affaires annuel du marché de l’héroïne exportée dans le monde pouvait atteindre 65 milliards de dollars.
Un autre article publié dans le Figaro au mois d’avril 2009, faisait état d’une « joint-venture » entre des cartels de la drogue Colombien et des membres du Hezbollah.

Aujourd’hui, les organisations terroristes, notamment Al-Qaïda au Maghreb, financent également leur guerre par ce trafic de la cocaïne en provenance d’Amérique du Sud transportée par le désert vers l’Afrique de l’ouest puis vers l’Europe, ainsi que le souligne un article du Figaro en date du 19 mars 2010.
L’arme de la drogue est redoutable puisqu’elle permet d’anéantir ses ennemis et de s’enrichir avec le poison que l’on leur inocule.

La France, bien entendu, n’est pas épargnée puisqu’un article du Figaro, le 30 décembre 2011 précisait qu’à Marseille, un petit commerce de drogue permettait de dégager « 110.950,00 euros de bénéfice par mois ».

Le recyclage de cet argent sur les marchés financiers s’effectuant au travers des entreprises, il faut citer deux articles publiés par la Tribune, en accordant toujours une marge, plus ou moins importante d’approximation aux chiffres, et tout autant à la provenance des fonds :
 le 21 décembre 2006 intitulé « 3.600 milliards de dollars de fusion-acquisition en 2006 ».

 le 23 janvier 2007 intitulé « le trésor des fonds d’investissement, 600 milliards en quête de cible »
Quelques années auparavant, la commission des finances de l’économie générale et du plan de l’assemblée nationale présentait un rapport d’informations enregistré sous le numéro 2476 sur la régulation de la mondialisation financière, le 14 juin 2000.

D’ores et déjà, ce rapport stigmatisait l’attitude des marchés qui « imposent leur volonté aux Etats au point que les partisans du libéralisme le plus pur ont cru pouvoir, sur la tentative d’accord multilatéral sur les investissements (AMI,) inverser les valeurs de la démocratie, en soumettant les règles de droit aux accords passés avec les entreprises ».

A l’époque, Marie-Christine DUPUIS précisait elle-même que : « le Fonds Monétaire International aurait estimé les gains cumulés provenant des activités illicites à 500 milliards de dollars, soit 2 % du Produit Brut Mondial ».

Il est notamment rappelé que « les acteurs engagés dans les activités illicites apparaissent motivés par les mêmes facteurs que ceux qu’on attribue aux hommes d’affaires honnêtes ; ils recherchent et réinvestissent les profits les plus élevés possibles », expliquait Pino Arlacchi, Directeur de l’office des Nations Unies pour le contrôle de la drogue et la prévention du crime.

En effet, ces auteurs, universitaires, magistrats, journalistes ont tiré la leçon du rapprochement entre l’existence de cette criminalité et le bouleversement de l’économie et de la finance, notamment par l’intermédiaire des marchés financiers.

Au mois d’avril 2000, à New York, le procureur fédéral informait les médias d’une fraude boursière réalisée par la mafia sur le Nasdaq, créé en 1971, et comptant à l’époque près de cinq milles sociétés cotées, le nombre des titres échangés dépassant le milliard et demi par jour.

Il est évident que l’organisation criminelle souhaitant démultiplier ses avoirs, peut mettre en place un mode opératoire semblable à celui révélé pour ce qui concerne le Nasdaq, à savoir : « en gonflant artificiellement la demande, les fraudeurs font grimper le cours des actions et, lorsqu’elles atteignent le niveau souhaité, les traders dans la combine, balancent sur le marché les titres détenues par l’association d’escrocs ».

L’article publié au mois de septembre 2000 dans le vrai papier journal ajoute : « pour noyauter Wall Street, la Cosa nostra applique le manuel mafieux à la lettre : intimidation, violence, dettes de jeu ou raquette, l’essentiel est de pouvoir contrôler le cours de l’action ».

A l’époque, Marie Christine DUPUIS avait été interrogée et avait confirmé qu’il existait un risque de voire créer une distorsion entre la valeur réelle des entreprises et leurs reflets boursiers en dehors de toute logique économique.

Au mois de novembre 2005, le figaro présentait en titre « la city gangrénée par l’argent du crime », son correspondant à Londres indiquant que le patron du gendarme des marchés britanniques (FSA Financial Services Authority) s’inquiétait de l’infiltration du système financier londonien par la mafia et le terrorisme.

En 2013, un documentaire diffusé par la chaîne ARTE reprenait ce même sujet sous le titre « la finance en eau trouble ».

Au mois de mai 2008, le ministre de la justice américaine Michael Muksey, aurait lancé une alerte publique concernant la menace grandissante pour la sécurité nationale de la « pénétration des marchés par le crime organisé ».

L’intérêt du rappel de ces articles, qui n’appartiennent pas encore à l’histoire, est de démontrer l’efficacité des méthodes utilisées par les organisations criminelles et terroristes pour pénétrer l’économie légale et bouleverser la finance mondiale.

C’est dans ce contexte que le prix Giovanni Falcone a été décerné pour la première fois au mois d’Octobre 2012 à Roberto Saviano parce que son parcours personnel, sa connaissance et son expérience avaient permis d’établir ce lien entre l’une des organisations criminelles les plus connues, à savoir la CAMORRA, et des secteurs très différents de l’économie comme ceux de la couture, du prêt à porter ou du traitement des déchets.

Les crises financières qui se sont succédées au cours des dernières années, en provenance notamment des Etats Unis, les manipulations boursières sont autant de preuves que cette mainmise est très avancée et participe notamment dans certains pays de la Communauté Européenne, à l’effondrement du système monétaire, à la destruction de l’économie et des emplois au seul profit du couple infernal constitué aujourd’hui par ces organisations criminelles et ces établissements bancaires et financiers.

Les lobbies et les risques de la corruption

A l’occasion de l’élection présidentielle américaine, la part incommensurable prise par l’argent remet en question le principe même d’état démocratique.
Au moment des dernières élections, la presse américaine et les échos qui sont parvenus en Europe, n’ont pas manqué de stigmatiser cette chape qui pèse tout d’abord sur les épaules des citoyens américains et qui amène à s’interroger sur la portée réelle du vote.

Une enquête très récente a concerné le lobby du tabac, ses interventions auprès des parlementaires, les dossiers très complets qui étaient constitués sur chacun d’eux, tenant compte bien entendu de leurs appartenances à un mouvement politique et, surtout, de leurs positions personnelles par rapport à l’industrie du tabac.

Ainsi que le rappelle Michel Le Net, ancien Président du cercle d’Éthique des Affaires ;

« C’est en Grande-Bretagne que le terme lobby apparaît, il y a un siècle et demi pour désigner les groupes d’intérêt qui, en coulisse, cherchent à peser sur les décisions du parlement.

Presqu’à la même époque, les Etats Unis institutionnalise le lobbying et règlemente l’activisme des groupes de pression auprès de l’administration et du Congrès.

En France, les lobbies ne bénéficient d’aucune reconnaissance officielle ; ils sont encore l’objet d’appréciations diverses que le langage reflète bien : on parle pudiquement de groupes de pression ou, péjorativement, de réseaux d’influence »

L’histoire veut que le mot « lobby » ait désigné les corridors ou couloirs de la chambre des communes britanniques, empruntant ainsi à la fonction monarchique du pouvoir celles de « faire antichambre » pour attirer l’attention du roi.

La France connait la notion de groupe de pression qui se manifeste, soit de façon occasionnelle, la démarche pouvant être plus ou moins corporatiste, soit au travers des partis politiques, des syndicats, et des associations.

Les institutions européennes, sous l’influence des pays anglo-saxons, vont admettre ce nouveau cheval de Troyes que constitue le lobbying des puissances financières et des multinationales.

Il est évident que certains scandales concernant l’enrichissement personnel des personnalités politiques, ont amené le gouvernement français à s’interroger sur la place que pourrait occuper le lobbying auprès des parlementaires.

Au cours des dernières années, plusieurs rapports ont été consacrés aux conflits d’intérêt et aux relations entre les groupes de pression et les parlementaires, ceux du sénateur Jean-Jacques Hyest, de la commission Sauvé en date du 26 janvier 2011, de l’ancien Premier Ministre, Lionel Jospin, comportant des réflexions de la commission de la rénovation et de la déontologie de la vie publique.

III. LA FINANCE AU-DESSUS DES LOIS

Tel pourrait-être le sous-titre de cet ouvrage magistral conçu et réalisé sous la direction et la plume de Jean de Maillard, « UN MONDE SANS LOI » consacré à la criminalité financière et ayant le mérite de décrire le parcours de l’argent criminel sur l’origine jusqu’à sa pénétration dans l’économie légale.

Puisqu’il a été question de l’Amérique, force est de constater que la finance, en un siècle, a réalisé une véritable captation de la démocratie.

Nul doute que la mise en place de la réserve fédérale au début du XXème siècle a progressivement assurée la primauté de l’argent sur la règle de droit au point qu’à l’exemple de la City à Londres, Wall Street est devenu le passage obligé de la finance mondiale au service d’intérêts particuliers.

C’est pourquoi le scandale soulevé par Edward Snowden est apparu justifié aux yeux des américains qui se sont interrogés sur la vocation première des écoutes mises en place par la NSA, à savoir, la défense des personnes et des biens, où la défense d’intérêts particuliers et la recherche d’informations dans le seul but de poursuivre cette conquête du monde.

Il suffit pour s’en convaincre de rappeler un article paru dans le monde diplomatique au cours de l’année 2000, intitulé : « ECHELON DEVOILE : Pourquoi l’Amérique espionne ses alliés. ».

Cet article émanant de R. James Woolsey, avocat à Washington et ancien Directeur de la CIA, étant parfaitement accessible sur Internet, il suffit d’en rappeler certains extraits qui illustrent parfaitement le propos :

« Oui, chers amis du continent européen, nous vous avons espionnés.

Et il est vrai que nous utilisons des ordinateurs pour trier les données grâce à des mots clés. Vous êtes-vous posé la question de savoir ce que nous cherchons ? »

« La plupart des technologies européennes ne méritent même pas que nous les volions. »

« Eh oui, chers amis continentaux, nous vous avons espionnés parce que vous distribuez des pots-de-vin. »

Et l’auteur de l’article d’ajouter :

« Pourquoi pratiquez-vous la corruption ?

Ce n’est pas parce que vos compagnies sont fondamentalement plus corrompues.

Ni parce que vous seriez de manière intrinsèque moins doués en technologie.

C’est parce que votre saint-patron économique est Jean-Baptiste Colbert, quand le nôtre est Adam Smith.

En dépit de quelques récentes réformes, vos gouvernements dominent encore largement vos économies, ce qui fait que vous éprouvez une difficulté beaucoup plus grande que nous à innover, à encourager la mobilité du travail, à réduire les coûts, à attirer le capital vers les jeunes secteurs industriels qui bougent si vite et à vous adapter rapidement aux changements des circonstances économiques. »

En revanche, ce même James Woosley écarte l’idée que les services de renseignement auraient pour mission de s’engager dans l’espionnage industriel, c’est-à-dire d’obtenir des secrets industriels et commerciaux pour le compte d’une ou de plusieurs compagnies des Etats Unis.

En raison du scandale soulevé à l’époque par la révélation de l’existence du réseau d’interception dénommé « ECHELON », un article a été publié dans le figaro du
vendredi 10 mars 2000 intitulé « la face caché d’Echelon », sous la plume d’un responsable d’intelligence économique d’un grand groupe français.

Retenons deux extraits de cet article :

« Echelon ne constitue qu’un instrument du vaste dispositif mis en œuvre pour la promotion des sociétés américaines »

Il est ajouté que la CIA et la NSA n’ont pas vocation à être directement en relation avec les entreprises américaines, mais en revanche leurs actions s’inscrivent généralement, ajoute cet article, dans le cadre des organismes de coordination mis en place sous l’autorité de la maison blanche ou du FBI.
L’article ajoute également :

« Les relations contractuelles avec le secteur privé peuvent concerner des sociétés ayant une force de présence internationale comme l’atteste le récent contrat signé par la NSA avec le cabinet Andersen consulting pour la gestion et la maintenance des systèmes d’information. »

L’intérêt de ce rapport est de mettre là encore en évidence les moyens mis en œuvre par les Etats Unis en s’appuyant non seulement sur certains services de l’Etat Fédéral mais également sur des cabinets d’audit, c’est-à-dire des cabinets réunissant des professionnels du chiffre et des professionnels du droit.

Ce rapprochement allait poser des problèmes déontologiques auxquels le Conseil National des Barreaux s’est intéressé puisqu’un rapport a été établi par Laurent Chambaz au mois
d’août 1997 concernant le problème de l’affiliation des cabinets d’avocats à des réseaux intégrés, non exclusivement juridiques.

Le Barreau de Paris qui s’était également inquiété de cette dérive financière avait confié à Alain Cornevaux, membre du Conseil de l’Ordre, une réflexion concernant les cabinets d’audit et l’opposition, qui n’avait pas manqué de se manifester, entre le chiffre et le droit.

Le rapport qui avait été établi à l’époque revêtait une réelle importance, notamment du fait d’un rappel historique sous le titre « quelques repères », puisqu’il faut remonter à la période qui a immédiatement suivi la grande crise de 1929 aux Etats Unis pour comprendre que :

« Le New Deal favorise le développement de firmes, de conseils multifonctions aux Etats Unis dont les animateurs proviennent d’officines d’agent de change.

A partir de solides connaissances financières, qu’ils complètent par une bonne formation juridique, ils mettent au point des techniques de management, d’absorption, de fusion, extrêmement performantes et parfaitement adaptées au besoin de développement et de restructuration de l’industrie américaine.

Les avocats américains de l’époque les méprisent car ils ignorent toute déontologie.

Petit à petit, la situation se renverse ; alors qu’ils ne peuvent pas faire du droit, parce cette activité est réservée aux avocats, ils investissent l’Université et négocient et vendent leurs compétences au cabinet d’avocats qui finissent par comprendre.

Ils construisent des structures financièrement puissantes.

Ils ne font toujours pas de droit.

Le Plan MARSHALL, après la guerre de 1939-1945, leur permet d’accompagner en Europe les industriels américains.

En France, ils découvrent qu’ils peuvent faire du droit, que le marché de l’expertise comptable est ouvert.

Ils s’investissent depuis, d’abord sur ce marché, puis sur celui du Commissaire aux comptes puis sur celui de l’audit conventionnel.

Après quelques difficultés dans les années 1960, ils maîtrisent complètement ce marché actuellement.

Parallèlement et puisque cela ne leur offre aucune difficulté, ils se rapprochent de cabinets de conseils juridiques ou les absorbent.

Ils font, en Europe, et plus particulièrement en France, ce qui leur est interdit dans leur pays d’origine… »

Cette analyse prospective absolument remarquable allait se vérifier puisque, force est de constater :
 que la pénétration de l’argent criminel dans le système économique mondial notamment par la voie du blanchiment et ce, par l’intermédiaire des marchés financiers,

 que la prééminence de la finance s’exonérant du respect de la loi au seul service en définitive d’intérêts particuliers de plus en plus restreints,
allaient provoquer ces crises financières successives, et l’indignation des américains qui en sont les premières victimes.
Par conséquent, lorsqu’Edward Snowden dénonce ce système d’écoute de la NSA, il se conduit effectivement en citoyen américain soucieux de préserver un système démocratique au service des américains.

C’est pourquoi, l’article de R. James Woosley, l’épisode Echelon en 2000 suivi de l’épisode NSA en 2013 renvoient dos à dos l’Europe et les Etats Unis :

 d’une part, parce qu’en prônant un libéralisme financier et une dérèglementation, les américains ont donné un pouvoir sans limite à la finance et aux organisations criminelles qui la manipule,

 d’autre part, parce que l’Europe et notamment la France, en privilégiant la fonction économique et financière de l’Etat au détriment du respect de la règle de droit, est devenue de plus en plus vulnérable, abdiquant peu à peu sa souveraineté, laquelle ne peut encore une fois procéder que de la légitimité que lui confère le vote des citoyens et, par conséquent, le respect de la loi et de la règle de droit.

Il est évident, là encore, que cette déclaration émanant d’un ancien Directeur de la CIA ne prévoyait pas les scandales financiers qui allaient se succéder, les masses considérables de capitaux d’origine criminelle, blanchies par l’intermédiaire des marchés financiers.

Et ce, malgré les moyens mis en place puisque le Wall Street journal, ainsi que le New York Times viennent de publier, au mois de novembre 2013, des articles dévoilant que la CIA payait plus de 10 millions de dollars chaque année à l’opérateur téléphonique AT&T pour qu’il lui fournisse des données téléphoniques de personnes soupçonnées de liens terroristes.

Il est précisé : « Pour ce programme, autorisé par le « Patriot Act », le FBI collabore avec la CIA afin de collecter de grandes quantités de données sur les transactions internationales effectuées par des Américains ou d’autres personnes qui font l’objet d’enquêtes pour terrorisme de la part de l’agence ».

La mondialisation a mis en évidence ce heurt entre des états, des trusts financiers et des organisations criminelles et terroristes.

IV. DESARMER LA DEMOCRATIE

Il y a plusieurs façons de désarmer la démocratie et de soumettre ainsi le citoyen au joug de l’insécurité physique, morale et économique, par la terreur, par l’appauvrissement, par la désinformation, par le non-respect de la loi et de la règle de droit.

Le privilège de battre monnaie a toujours été une expression de la souveraineté et, le simple fait que la réserve fédérale américaine réunisse des intérêts privés depuis 1913 et que la finance mondiale soit entre les mains d’intérêts privés, manifeste la preuve de ce transfert de souveraineté au détriment des citoyens.

Il est permis de s’interroger sur la vulnérabilité de la « financiarisation » de cette économie susceptible de favoriser la pénétration de l’argent criminel.
A la fin du XXème siècle, cette convergence d’intérêt apparaissait consommée, les organisations criminelles et terroristes ayant pénétré l’économie légale et absorbé le monde de la finance, il s’agissait de sauver les apparences et de faire en sorte que le discours économique et financier devienne la règle.

La ponction financière s’effectue notamment au travers des marchés financiers :

 d’une part, parce que les entreprises les plus profitables sont contrôlées par des fonds d’investissement détenus par ce monde de la finance qui en perçoit, par conséquent, les bénéfices,

 d’autre part, parce que les pays eux-mêmes ont eu recours aux marchés financiers au travers des emprunts créant ainsi une dette dont le remboursement allait être mise à la charge des citoyens des pays concernés.

Cette masse de capitaux participe à fausser les indices comptables et à créer une économie virtuelle, provoquant une forme de vampirisme financier qui ne doit pas être perçue comme telle.

C’est ce qui explique qu’il a fallu occulter la dimension criminelle de cette démarche, créer des artifices et des fusibles, en un mot, favoriser l’opacité.
Au service de cette conquête, l’argent a été utilisé comme une arme absolue, Warren Buffet ayant lui-même déclaré, s’agissant des hedges funds, qu’ils constituaient « une arme de destruction massive ».

Autre paradoxe, celui de l’argent, considéré pendant longtemps comme n’ayant ni couleur ni odeur puisque la mondialisation aura permis du fait des moyens mis en œuvre pour s’en procurer, de reconnaître l’existence de l’argent sale et, par conséquent, de la nécessité de son blanchiment.

L’argent permet d’acheter, du bien-être, de la santé, des biens mais également des femmes et des hommes, en un mot, du pouvoir.

Aujourd’hui la liste est longue, des universitaires voire des hommes politiques qui ont dénoncé cette dérive financière ainsi que son origine criminelle, les professeurs d’économie Alain Cotta, Henri Bourguinat en France, mais également John Galbraith aux Etats Unis lorsqu’il publie son dernier ouvrage « les mensonges et de l’économie ».

Bien entendu, Stiglitz également prix Nobel d’économie, puisqu’avec William K. Black et d’autres, il avait déjà stigmatisé la règlementation financière aux Etats Unis et ce, depuis la débâcle des caisses d’épargne à la fin des années 1980.

S’agissant de la crise des prêts hypothécaires SUBPRIME, il rappelle que ce scandale n’a pu exister qu’à la condition que des agences de notation aient permis de reconditionner ces prêts en nouveaux produits notés AAA.

A l’occasion de ce scandale financier qui a appauvri non seulement des américains mais également tous ceux qui ont placé leur argent dans ces produits financiers « pourris », Joseph E. Stiglitz relève :

« La triste vérité est que, sur les marchés financiers américains, les innovations visaient à contourner les règlementations, les normes comptables et le fisc.
Elles ont créé des produits si complexes qu’ils ont eu le double effet d’aggraver le risque et les asymétries d’informations.
On ne saurait donc s’étonner qu’il soit impossible de rattacher à ces nouveaux produits financiers la moindre hausse durable de la croissance économique (autre que leur contribution à la bulle) »

Cette crise n’est qu’un épiphénomène de cette nouvelle forme de guerre financière et économique commencée à la fin du XIXe siècle, qui s’est poursuivie et a atteint son apogée dans la seconde partie du XXe siècle avec l’instrumentalisation des marchés financiers et l’endettement des états.

Afin de lutter contre les abus de la finance criminelle, l’arsenal législatif existe, encore faut-il que la volonté politique existe elle-même et que les institutions chargées de faire respecter la loi soient dotées des moyens qui soient à la mesure des enjeux.

Il est intéressant de souligner qu’au moment où des états perdent peu ou prou leur souveraineté au profit d’intérêts particuliers, beaucoup d’autres états ne l’ont conservé qu’au profit de ces mêmes intérêts particuliers, il s’agit des paradis fiscaux.

De façon tout aussi paradoxale, des institutions juridiques et comptables s’inscrivant dans la ligne de la lex mercatoria ont été elles-mêmes dévoyées au service de ces mêmes intérêts particuliers afin de permettre de dissimuler l’origine criminelle des capitaux.

Avec la mondialisation et l’informatique, la finance s’est dotée d’instruments permettant, tout au moins en apparence, de se déconnecter de l’économie réelle et de permettre ainsi la circulation de richesses virtuelles sous la forme de la titrisation ou de véhicules bancaires.

Ces artifices juridiques et comptables ne peuvent pas résister à la sanction de la morale et du droit, aussi a-t-il fallu mettre en place des écrans et des fusibles, afin d’en retarder voire même d’en interdire l’application.

Le présent article ne nous permet pas de façon exhaustive d’examiner la diversité des instruments bancaires et financiers mis en place, aussi est-il apparu intéressant de s’attarder :

 sur le dévoiement de la souveraineté résultant de l’existence des paradis fiscaux,
 sur le dévoiement des institutions juridiques (fiducie, trust, titrisation etc.)
 sur le dévoiement des mathématiques et de la comptabilité,
 sur la dette qui pèse sur les citoyens des états.

1 - Dévoiement de la souveraineté résultant de l’existence des paradis fiscaux.

C’est à l’occasion de scandales politico-financiers que l’existence des paradis fiscaux revient régulièrement sur le devant de la scène.

En revanche, l’abondance de la documentation, la désinformation qui accompagne là encore l’information des citoyens, ne permet pas une étude exhaustive de ce « commerce de la souveraineté » qui ressort, tout particulièrement, du rapport des Nations Unies intitulé « Paradis financiers, secrets bancaires et blanchiment d’argent », office pour le contrôle des drogues et la prévention du crime, de l’organisation des Nations Unies, 1998 UN sales n° F99-IV-2.

C’est en effet sous l’angle de la dimension criminelle qu’il convient d’évoquer la qualification de paradis fiscal qui recouvre, en réalité, une grande diversité de situations, c’est pourquoi il n’apparaît pas utile d’approfondir la distinction entre le centre Offshore et le paradis fiscal et de retenir que leur dénominateur commun est essentiellement fondé sur :

 l’existence d’un secret bancaire très stricte,
 l’absence d’imposition ou bien l’existence d’imposition très minime sur les actifs détenus par les non-résidents,
 la relative facilitée avec laquelle sont mis en place les fondations ou les Trusts ou toute autre entité garantissant l’anonymat,
 l’absence quasi-totale d’entraide judiciaire sur le plan international.

L’ouvrage de Nicholas Shaxson, intitulé « les paradis fiscaux » faisant référence à une étude de Raymond Baker, Directeur de l’ONG Global Financial Integrity, décompose le montant des flux financiers illicites en trois tranches :

 la première tranche, provenant des activités criminelles représentant à elle seule, entre 350 et 550 milliards de dollars, soit entre un tiers et la moitié du total des flux financiers illicites estimés approximativement à mille milliards de dollars en 2006,

 la deuxième tranche comprend les profits provenant de la corruption,

 la troisième tranche, concerne la transaction commerciale internationale susceptible, par conséquent, d’échapper aux exigences règlementaires et fiscales des pays concernés par ces opérations.

Il faut retenir la distinction fondamentale qui doit exister entre l’évasion fiscale et le blanchiment de l’argent criminel, ce qui ressort également d’une étude intitulée la problématique « offshore » de Jean-François Thony, Magistrat et ancien responsable du programme mondial contre le blanchiment de l’argent, publié dans le rapport moral sur l’argent dans le monde en 2001.

Il est évident que le phénomène de blanchiment de l’argent criminel est allé en s’aggravant compte tenu de la dérèglementation financière, de l’importance prise par les divers trafics qui génèrent une masse de capitaux considérable, lesquels, avant de pénétrer dans l’économie légale notamment par la voie des marchés financiers, transitent par l’intermédiaire de ces centres offshore ou les paradis fiscaux.

C’est ainsi que Jean François Thony décrit la panoplie dont dispose les organisations criminelles puisqu’elles peuvent :

 soit créer une société écran sous la forme d’une société d’affaires internationale (SAI) international business corporation (IBC),

 soit constituer sa propre banque offshore, ce qui permet effectivement d’accéder au système financier international.

Il est même précisé dans cet article qu’il existe, pour ces banques, un service « comptes baladeurs » (walking accounts) permettant de transférer automatiquement tous les fonds qui sont déposés dans une autre banque dès qu’une demande de renseignements ou bien une enquête est déclenchée.
L’étude consacrée à ces centres offshore et à ces paradis fiscaux s’attardent également sur les Trusts, les fondations et les conventions de fiducie confirmant que ces institutions sont détournées de leur vocation originelle pour permettre de dissimuler à la fois l’identité du bénéficiaire économique et, bien entendu, l’origine des fonds.

A la suite de l’attentat du 11 septembre 2001, les Etats Unis ont pesé de tout leur poids sur le plan international pour faciliter l’entraide et l’échange d’informations, plus particulièrement pour ce qui concerne le financement du terrorisme.

Les crises financières qui se sont succédées depuis 2001 n’ont fait que confirmer l’impact que pouvait avoir la dérèglementation financière et la pénétration de l’argent criminel dans l’économie légale, mais force est de constater que tant les Etats Unis que l’Europe s’attaquent essentiellement à la fraude fiscale, ce qui peut pour le moins laisser perplexe, compte tenu de la disproportion qui existe entre la gravité du crime et de l’atteinte à l’ordre public, la masse considérable de profits, et cet évitement fiscal qui peut être parfaitement répréhensible, mais qui est sans commune mesure avec le blanchiment de l’argent criminel et ses conséquences.

Pourtant, l’histoire du blanchiment de l’argent criminel est aujourd’hui parfaitement connue et certaines figures comme celles de Meyer Lansky pour la mafia ou Franklin Jurado pour les cartels colombiens, font partis de ces « chefs d’orchestre » puisqu’il est évident que des opérations financières de cette envergure exigent la complicité de juristes, d’experts comptables, de banquiers voire d’hommes politiques.

Force est de reconnaître que certaines zones de la planète ont été privilégiées pour toutes les formes de trafic, notamment les iles caïmans et que certaines activités ont également été privilégiées par le crime organisé notamment les secteurs du show business, de la banque etc.

C’est ainsi que Nicholas Shaxson rappelle dans son ouvrage que :

« Les spécialistes du « Pump and dump », une escroquerie qui consiste à faire de la publicité pour les actions d’une société et à vendre au plus haut, une fois que les investisseurs crédules ont fait monter les cours, se dissimulent toujours derrière des structures offshore ».

Il ajoute :
« Les paradis fiscaux sont au cœur de toutes les transformations économiques, de toutes les innovations financières, de tous les scandales.

Les multinationales n’auraient jamais pu devenir si grandes et si puissantes sans les paradis fiscaux.

Goldman Sachs est dans une large mesure une créature du monde offshore.

Toutes les grandes crises financières depuis les années 1970 possèdent, en partie, des paradis fiscaux. »

Or, tandis que les banques immatriculées dans les iles caïmans pourraient gérer des dépôts évalués approximativement à 500 milliards de dollars, ce qui en ferait la cinquième place financière mondiale, il est important de souligner la présence de nombreuses filiales de banques occidentales et notamment des banques françaises. »

Il en résulte, que la souveraineté d’un pays qui ne peut procéder que de la délégation et par conséquent de la confiance que lui accordent les citoyens, est remise en cause par une autre souveraineté, le plus souvent d’essence criminelle et financière.

La prise de conscience par les citoyens est longue, elle s’effectue avec un décalage d’autant plus inquiétant que les gouvernants et les médias ont, pendant longtemps, totalement occulté cette réalité.

C’est la violence des évènements, l’insécurité, le chômage qui constituent des électrochocs successifs à tel point que le rapport moral sur l’argent dans le monde dont la promotion est assurée chaque année par la Caisse des Dépôts et Consignation, a consacré sa 17ème édition à la délinquance financière, le Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignation ayant déclaré que la criminalité financière présentait « une véritable menace pour notre Etat de droit et la vie en société ».

2 - Dévoiement des institutions juridiques, fiducie, trust, titrisation etc.

Bien qu’elle puise ses sources dans le droit romain, la fiducie a été longtemps tenue à l’écart du système juridique adopté par les pays européens.
Très ancienne institution fondée sur la bonne foi et la confiance, le pacte fiduciaire permettait un retransfert volontaire et solennel du droit de propriété puisque l’acquéreur du bien s’engageait auprès de l’aliénateur à lui retransférer la propriété de ce bien en respectant les conditions fixées dans le pacte.

C’est ainsi qu’à Rome, la fiducie répondait à une double finalité ; soit permettre à un ami de confier ses biens pendant le temps de son absence, il s’agit de la fiducia cum amico ; soit il s’agissait d’un pacte conclu avec un créancier, c’est-à-dire une fiducia cum creditore puisque le créancier bénéficiait ainsi d’une sureté, à savoir la propriété du bien.

Ce qu’il convient par conséquent immédiatement de retenir, c’est non seulement le rapport de confiance mais également la possibilité pour le véritable propriétaire de ne pas apparaître et, par conséquent, de ne pas être connu.

En outre, il convient également de retenir, que le succès de l’institution a tout d’abord été reconnu par les pays de common law dans la mesure où cette institution est apparue très rapidement parfaitement adaptée à la gestion de fortune ainsi qu’aux opérations bancaires et financières qui l’accompagnent.
Sans doute est-ce pour cela qu’en Europe, le Luxembourg a été pendant longtemps le seul pays à reconnaître officiellement cette institution.

Il est admis que la forme anglo-saxonne de la fiducie est le Trust, puisque le Trustee, bien que propriétaire du bien, ne peut en tirer un profit personnel, mais il doit le gérer pour le compte de celui qui lui a consenti cette propriété.

L’ancêtre du Trust au moyen âge permettait au chevalier parti combattre en terre sainte de confier à une personne de confiance ses biens et ses terres afin qu’ils soient gérés en son absence, au bénéfice de sa famille.

Les juristes accordent certaines différences à la fiducie et au Trust qui ne justifient pas de plus amples développements puisque le rappel de l’existence de ces institutions est essentiellement justifié par les possibilités qu’elles offrent de constituer un écran parfaitement opaque, voire un éventuel fusible en fonction des modalités juridiques et financières de la convention et de la nature et de la qualité des biens qui en font l’objet.

En raison de son statut de place financière prépondérante, la Suisse a notamment permis à ses banquiers de recourir à cette institution pour permettre à leurs clients d’accéder à un marché où n’opèrent que les banques et les grands établissements financiers.

L’opération consistant pour le client à passer une convention avec le banquier lui confiant les fonds qu’il met à sa disposition sur l’euromarché au nom de la banque mais pour son compte et, à ses risques et profits.

Il était intéressant de relever que la Commission fédérale des banques considère que ces dépôts, opérés pour le compte de client, n’ont pas à être portés au bilan des banques, ce qui leurs évitent d’avoir à augmenter leurs fonds propres afin de respecter le ratio qui doit exister entre leur montant légal et les dépôts des clients.

Cet exemple illustre non seulement une opération financière, mais également l’existence sur le plan juridique d’un véritable mandat.

C’est pourquoi l’opération fiduciaire caractérisée par l’existence de ce mandat, se traduit également sous la forme du portage de titres de société c’est-à-dire l’existence d’une convention au terme de laquelle, le donneur d’ordre demande au porteur de devenir actionnaire par acquisition ou souscription d’action.

Il est, bien entendu, convenu par avance que sur la base de certaines modalités juridiques et financières, ces actions seront ultérieurement transférées à une personne désignée et à un prix fixé dès l’origine.

L’intérêt de rappeler l’existence d’institutions telles que la fiducie ou le Trust, réside dans la démonstration de leurs utilisations dans ce domaine de la finance puisqu’elles constituent des moyens de permettre l’anonymat, l’opacité, c’est-à-dire l’impossibilité d’identifier immédiatement le véritable auteur de l’opération financière ou le véritable propriétaire des titres de la fondation, voire du fond d’investissement.

Nul doute qu’en fonction de l’identité et de la qualité de l’auteur ou du propriétaire, ainsi qu’en fonction de l’origine des fonds puissent exister des entités qui constituent autant d’écrans ou de fusibles intermédiaires, ce qui participe bien entendu à augmenter le coût du montage de telles opérations avec l’assistance non seulement des banquiers, mais également de juristes et de comptables.

La question qui vient bien entendu à l’esprit est celle de la raison d’être de telles institutions dans des pays qui prônent l’avènement de la démocratie et qui prétendent au statut d’état de droit.

Il faut considérer également qu’en fonction des acteurs en présence, c’est-à-dire des véritables donneurs d’ordre et des corps intermédiaire, qui vont permettre le montage de l’opération et la circulation des flux financiers, les risques de conflit peuvent exister et ne pas être obligatoirement résolus par des voies que la morale et encore moins la loi, n’approuvent.

C’est pourquoi, l’intimidation et la terreur s’inscrivent parfaitement dans le processus qui permet de garantir la confiance, laquelle se trouve être le plus souvent, gracieusement rémunérée.

En France, c’est par une loi du 19 février 2007 que la fiducie a été reconnue en France et a pris sa place dans le Code Civil, en ces articles 2011 à 2030.
Son application en France aura pour vocation :

 soit de constituer une sureté afin de garantir le respect d’une obligation, il s’agit de la fiducie sureté,

 soit elle permet de confier la gestion de biens ou d’activités à une personne de confiance, et dans ce cas il s’agit de la fiducie gestion.

Dans un premier temps, la France n’avait permis la mise en œuvre de la fiducie que par l’intermédiaire de personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés et c’est la loi de modernisation de l’économie en date du 4 août 2008 dite LME qui a étendu son champ d’application aux personnes physiques, et a permis aux avocats d’avoir la qualité de fiduciaire initialement réservée aux institutions financières.

Introduite dans le droit français, la fiducie pouvait être assimilée au mandat dont elle se distingue par l’indépendance de gestion qu’elle permet, outre l’affectation des actifs transférés dans le patrimoine fiduciaire.

C’est-à-dire que les biens qui sont l’objet du contrat de fiducie ne sont plus dans le patrimoine du débiteur, en l’occurrence le constituant, puisqu’ils sont transférés dans le patrimoine d’affectation.

Le contrat de fiducie doit être établi par écrit et enregistré faisant intervenir à l’acte, au moins trois personnes, à savoir ; le constituant, le fiduciaire et le bénéficiaire, le fiduciaire pouvant être lui-même bénéficiaire.

L’article 2017 du Code civil permet également, au constituant, de désigner un tiers lequel aura pour mission de veiller à la préservation de ses intérêts.
Dans le cadre des dispositions prises pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les contrats de fiducie doivent être enregistrés auprès du service des impôts et doivent mentionner l’identité du ou des constituants et fiduciaires, ainsi que l’identité du ou des bénéficiaires.
Il existe également un registre national qui centralise les informations relatives aux contrats de fiducie.

Non seulement la France a réintégré cette institution romaine dans le Code civil, mais l’administration fiscale s’est également penchée sur une autre institution anglo-saxonne, le Trust, lequel se trouve soumis à un régime fiscal en application de l’article 792-0 bis du Code général des impôts.

Le Trust étant défini comme :

« L’ensemble des relations juridiques créées dans le droit d’un Etat autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé. »

Le régime fiscal impose des obligations déclaratives pour les administrateurs de Trust dont un au moins des constituants bénéficiaires réputés constituant ou bénéficiaire, à son domicile fiscal en France ou qui comprenne un bien ou un droit qui y est situé.

Afin de permettre la mise en place du régime d’imposition du Trust, une déclaration de la valeur vénale des droits, biens, et produits capitalisés composant le Trust doit être déclaré chaque année en application de l’article 1649 AB du Code général des impôts.

Cette approche fiscale démontre la prise en considération d’institutions anglo-saxonnes par le droit français dans la perspective d’un assujettissement sur le plan fiscal, qui ne va pas être sans difficulté puisque ce concept de Trust demeure tout de même attaché à des notions de confidentialité et de discrétion.

Titrisation

Toujours dans la voie de l’obscurantisme favorable aux opérations de blanchiment et de manipulation, les auteurs de cet ouvrage ce sont également penchés, tout comme Joseph E. Stiglitz sur les méfaits de la titrisation.

Avant que la titrisation ne s’installe, les banques assumaient les conséquences du risque qu’elles avaient pris lorsque l’emprunteur ne remboursait pas.
S’agissant de la crise des prêts hypothécaires SUBPRIME, elle n’a été possible que du fait de l’abondance des liquidités, et par conséquent, la possibilité de mettre à la disposition des acquéreurs un crédit bon marché.

Cette ingénierie financière a permis, par l’intermédiaire de la titrisation, de reporter non seulement le risque de l’absence de remboursement sur les futurs détenteurs des titres, mais également de prélever au passage sa commission ainsi que le rappellent les auteurs de l’ouvrage « Virus B Crise Financière et Mathématiques » :

« Le principe de la titrisation consiste à transformer une créance en un titre négociable qui peut ensuite être cédé à un autre établissement financier.

Grâce à ce procédé, le premier prêteur transfère le risque du prêt sur un deuxième acteur.

Cela lui permet de ne plus faire figurer la créance à son bilan, de réduire la quantité de fonds propres dont il a besoin et de prêter à nouveau. »

C’est ainsi que l’émission de nouveaux titres appelés CDO (collateralised debt obligations), c’est-à-dire des obligations représentant des dettes hypothécaires et, de ce fait, pouvant être considérées comme des créances à risque, font l’objet d’un découpage en « tranche » correspondant à différents niveaux de risques.

Ainsi que le souligne les auteurs du Virus B « le tranching » est véritablement la formule magique qui transforme la boue en or… »

Ainsi que le souligne également Joseph E. Stiglitz, ce processus de titrisation fait intervenir une longue chaîne de participants et notamment pour permettre cette circulation, les gestionnaires de fonds de pension ont obtenu la certification des agences de notation que l’acquisition de ces titres étaient sans risque.

La chaîne des intervenants et ce, compte tenu de la compétence présumée de chacun des acteurs, permet encore une fois de s’interroger sur la provenance des fonds qui devaient permettre, à l’origine, la mise à disposition de ces prêts et sur les fusibles intermédiaires mis en place pour permettre à la fois sur le plan juridique et sur le plan comptable, d’exonérer la banque émettrice de toute responsabilité.

C’est ainsi que vont être créés des sociétés dédiés à l’achat des titres : les SPECIAL PURPOSE VEHICLE, c’est-à-dire des véhicules d’investissement spéciaux extérieurs au bilan des banques.

Ce cycle infernal va même se poursuivre jusqu’à retitriser des créances déjà titrisées de manière à allonger la chaîne du crédit en multipliant les acteurs, ainsi que le souligne les auteurs du Virus B en évoquant la création de ces nouveaux produits toujours plus sophistiqués, à savoir : CMO (collateralised morgtage obligation), CDO (collateralised debt obligations), CSO (collaterised synthetic obligations) etc.

Le caractère attractif et pernicieux du système a fait passer le montant global des prêts hypothécaires SUBPRIME de 160 milliards de dollars en 2001, à 600 milliards de dollars en 2006.

Ce qu’il faut par conséquent retenir, c’est que la crise des prêts hypothécaires SUBPRIME n’est qu’un épiphénomène révélateur de la capacité du pouvoir financier à mettre en place, compte tenu des masses de liquidité considérable dont il dispose, les moyens de les accroitre en faisant peser les risques sur les autres investisseurs plus ou moins bien avertis, voire totalement désinformés.

C’est ainsi, qu’aux Etats Unis, les scandales ayant éclaboussés J.P. Morgan, Goldman Sachs, Lehman Brothers, les agences de notation, ont bien entendu pesé au moment des élections et l’enquête menée par la SEC concernant la vente de produits toxiques en 2007, devait justifier pour les démocrates, le besoin d’adopter une loi qui réforme Wall Street ainsi que le proclamaient, au mois d’avril 2010, les sénateurs démocrates Harry Reid et Chris Dodd.

Du côté des républicains, la position est plus paradoxale puisqu’ils sont à la fois opposés au sauvetage des banques par des fonds publics, ainsi qu’au projet démocrate tendant à réformer le système bancaire.

Sans aucun doute, l’indignation des citoyens américains ne pouvait, de toute façon, dans un tel contexte que conforter la SEC et la justice américaine à diligenter des enquêtes et à appliquer, dans un premier temps, des sanctions financières qui ne soient pas dérisoires au regard de l’ampleur des profits réalisés par le système financier et de l’atteinte à la confiance et aux intérêts économiques du pays.

3 - Dévoiement des mathématiques et de la comptabilité

L’exemple de la manipulation du Nasdaq, par une organisation criminelle, permettait d’illustrer la capacité de tirer parti de l’économie virtuelle qui participe à l’appauvrissement des investisseurs et enrichit ceux qui disposent des moyens tout d’abord financiers, notamment à l’occasion du blanchiment pour spéculer, encourager la baisse des cours puis, la hausse de ces mêmes cours pour vendre sur les marchés, au moment voulu.

Afin de masquer ces manipulations qui constituent autant d’acte d’abus de confiance ou d’escroquerie, il fallait mettre en place non seulement des fusibles juridiques et comptables mais également une modélisation mathématique qui échappe à la compréhension du commun des mortels.

C’est-à-dire que la science économique, enseignée dans les universités, qui n’entre pas dans le rang des sciences exactes mais qui repose à la fois sur l’étude des ressources énergétiques et industrielles et des comportements humains quantifiés sous la forme de statistiques, est abandonnée entre les mains de spécialistes de l’ingénierie financière qui sont à l’origine de produits financiers de plus en plus sophistiqués qui n’ont qu’un seul but, participer à l’opacité concernant la provenance des capitaux et leurs utilisations.

Cette opacité satisfait une double convergence d’intérêt :

 la première, occultée la provenance de capitaux criminels, vis-à-vis des citoyens
 la seconde, l’enrichissement de ceux qui se soumettent.

Certains mathématiciens, notamment David Mascré, se sont penchés sur la fameuse gestion des risques dont les banques ont prétendus être le fer de lance de leur activité et par suite, de leur politique de formation.

Une fois de plus, le citoyen est confronté à l’alternative suivante, sommes-nous en présence d’un apprenti sorcier incompétent ou du complice d’une activité de blanchiment de l’argent criminel.

En effet, les mathématiciens admettent qu’il faille, intégrer dans le processus économique, la prise en considération du risque et par conséquent, des modèles probabilistes de la finance qui ont effectivement pour finalité, d’estimer ces risques.

Encore faut-il que ces modèles fonctionnent dans des situations ordinaires et non pas, ainsi que le souligne Nicole El Kroui, pendant des périodes de surchauffe, de bulle, pendant lesquelles les comportements ne sont plus rationnels.

Or, la situation ordinaire à laquelle il est fait allusion, laquelle présume un comportement rationnel, ne tient pas compte bien entendu des comportements présentés comme irrationnels qui peuvent être notamment ceux de la finance criminelle puisqu’elle dispose de capitaux tellement considérables et par conséquent de liquidité, qu’elle peut peser à tout moment sur le cours des marchés financiers.

Lorsqu’en 2006, en présence d’Experts réunis par le FMI, l’économisme Nouriel Roubini annonce une faillite immobilière sans précédent et une profonde récession, son discours indiquent Christian Walter et Michel de Pracontal « était cueilli avec un scepticisme moqueur ».

Pour Nouriel Roubini, l’optimisme de ces auditeurs reposaient sur l’appareil mathématique de la finance moderne, induisant une vision simplifiée de la réalité et altérant, par la même, la perception des risques.

Force est d’admettre que cette sous-estimation des risques ne prend pas, encore une fois en considération, la cupidité et surtout les moyens dont disposent la finance criminelle.

La prétention de certains pseudos experts à conférer un caractère scientifique à l’économie et à la finance, a été non seulement critiquée par des mathématiciens mais également par des économistes.

C’est pourquoi, il convient là encore de s’interroger sur la véritable raison d’être de l’enseignement de l’économie aux Etats Unis privilégiant, bien entendu, la modernisation mathématique et financière au détriment de la réalité et de la connaissance du comportement humain.

Dans une analyse critique consacrée à ce sujet, David Mascré rend hommage à Maurice Allais critiquant la théorie de l’Utilité Espérée proposée par l’école américaine, en mettant en évidence, pour la réfuter, son caractère artificiel et arbitraire en définitif totalement déconnecté de l’économie réelle et de la psychologie humaine.

La comptabilité

En raison de l’évolution des normes comptables, de la pression des pays anglo-saxons et du poids de la finance, il convient de rappeler que notamment l’article 123-14 du Code de commerce édicte que les documents comptables doivent « donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise ».

Dans l’introduction de son essai, John-K. Galbraith indique lui-même qu’il apporte une petite touche personnelle et ce, à l’occasion de scandales financiers dont celui provoqué par la chute du groupe Enron.

Concernant la direction des grands groupes, il stigmatise « le vol patronal avec l’aide, imprévue, de comptables complaisants et corrompus ».

Il ajoute : « Cet essai se propose de montrer comment, sur la base des pressions financières et politiques et des modes du moment, la théorie et les systèmes économiques et politiques en général, cultivent leur propre version de la vérité. Une version qui n’entretient aucune relation nécessaire avec le réel. »

Un autre prix Nobel d’économie, Joseph E. Stiglitz, s’était également intéressé à la dérive des normes comptables, dans son ouvrage « Quand le capitalisme perd la tête ».

Après avoir rappelé la complexité des documents comptables et des rapports financiers, l’auteur rappelle que les experts comptables doivent être fiables et capables de donner une image, à peu près juste, de la valeur nette et des profits d’une firme.

Or la finance a bâti sa réussite et acquis son pouvoir par l’intermédiaire des marchés financiers et, de ce fait, Stiglitz s’interroge sur le rôle de l’Etat, rappelant qu’il y a fraude lorsque l’information induit lourdement en erreur l’investisseur ajoutant « la façon dont l’Etat fixe les critères et les sanctions qu’il inflige quand les auditeurs ne font pas leur travail, influe beaucoup sur la crédibilité des comptes d’entreprise, donc sur la force du marché des capitaux. »

Ce qui l’amène à évoquer des asymétries de l’information naturelle justifiant l’existence des commissaires aux comptes puisque, la direction des grands groupes pourrait être incitée à donner une information fallacieuse.

A ce sujet, il convient de rappeler qu’en 1995, c’est-à-dire au moment où le débat concernant l’opposition du chiffre et du droit était présent dans tous les esprits et bien entendu surtout dans l’esprit des professionnels concernés par le monde de l’entreprise, les articles de presse se sont inquiétés de la véracité des comptes.

Au mois de décembre 1995 « Enjeux Les Échos » présentait sous le titre Le dessous des comptes, un article rappelant :

« Que les grands investissant anglo-saxons boudent les valeurs françaises au profit des valeurs étrangères dont ils ne mettent pas en doute la transparence !

Le petit porteur français lui aussi s’interroge. »

A la même époque, le nouvel observateur présentait également un article consacré aux entreprises françaises sous le titre : Les comptes des entreprises françaises sont-ils faux ?

Il est évident que ce rappel, d’une inquiétude tout à fait légitime, doit être rapproché de la succession des scandales comptables et financiers qui ont secoué le monde de la banque et de l’entreprise en Grande-Bretagne et, bien entendu, aux Etats Unis.

Ce qui permet d’affirmer que la dérive des normes comptables est également inscrite dans la volonté des opérateurs de la finance et des organisations criminelles, ainsi que Joseph E. Stiglitz le reconnaît lui-même :

« Malheureusement, dans les deux dernières décennies, les forces œuvrant en faveur de l’exactitude de l’information ont été systématiquement sapées. »
Dans son ouvrage, au chapitre intitulé « Comptabilité : l’imagination au pouvoir » Joseph E. Stiglitz décrit au travers d’exemples, les artifices juridiques et comptables qui ont été imaginés en tenant compte du système fiscal mis en place par l’Etat aboutissant à favoriser peu ou prou les moyens d’évasion fiscale par l’intermédiaire des paradis fiscaux.

Au mois de septembre 2006, un rapport a été remis au Premier Ministre par Bernard Carayon, député du Tarn, destiné à sensibiliser les entreprises à la nécessité de se soucier des normes qui existent et qui vont devoir s’appliquer à l’échelon international dans les secteurs aussi diversifiés que l’industrie, la finance ou la comptabilité.

En préambule, Bernard Carayon rappelait que :

« L’économie mondiale est désormais soumise à des fonds d’investissements s’affranchissant de toute gouvernance, dont le seul intérêt est le profit à court terme, ainsi qu’à des mécanismes internationaux de régulation sur lesquels la France pèse peu. »

C’est à l’occasion de ce rapport qu’il a été question d’une erreur stratégique qui aurait été commise par la commission européenne en matière de normes comptables sous la pression des autorités américaines.

Il s’agissait pour les autorités américaines de parvenir à ce que les entreprises internationales ne se réfèrent qu’à un seul dispositif réglementaire, ce qui devait être obtenu le 1er janvier 2005.

Un expert-comptable soucieux, sans doute, de conserver son anonymat a dit :

« La comptabilité est la forme la plus noble du mensonge »

Le présent article ne permet pas, de façon exhaustive de rappeler toutes les solutions normatives des règles comptables et de ce fait, il convient essentiellement d’en retenir l’esprit qui conduisait cette évolution puisqu’elle s’inscrivait, encore une fois, dans cette volonté de conquête et dans le souci de disposer d’un instrument qui allait être mis en les mains du pouvoir financier.

Il n’échappera pas, en effet aux lecteurs, que de la même façon que la réserve fédérale américaine est entre les mains de banques privées, c’est-à-dire aux services d’intérêts particuliers, il fallait que la courroie de transmission que permettent les marchés financiers, au travers de la comptabilité, soit également entre les mains d’une fondation privée.

Sur le plan institutionnel, rappelons simplement les principales étapes, à savoir qu’à partir de 1946 et jusqu’à 1957, plusieurs institutions se sont succédées pour mettre en place la normalisation française.

Et c’est en 1957 que le Conseil National de la Comptabilité (CNC) a été créé.

Cette normalisation française, à la différence de la normalisation anglo-saxonne, est placée sous la tutelle de l’Etat, les parties prenantes participant à l’élaboration de la norme et respectant le principe de collégialité.

En 1990, la part prépondérante prise par les marchés financiers remettait en cause cette normalisation aboutissant à la réforme de 1998.

Cette réforme a essentiellement porté :

• sur l’extension des missions à tous les secteurs économiques,
• sur la part plus importante dévolue à des professionnels,
• sur le renforcement du statut du Président.

En outre, il est créé un Comité de Règlementation Comptable (CRC), lequel règlemente les normes en fonction de l’avis du CNC et exige l’approbation des Ministres de l’économie, de la justice et du budget.

En 2009, le CNC et le CRC fusionnent pour donner naissance à l’Autorité des Normes Comptables (ANC).

Ce qu’il faut retenir, c’est que la création de l’ANC marque le recul de la représentation étatique au sein de l’organe décisionnel et, par conséquent, le recul du contrôle de l’Etat sur la normalisation comptable.

La place prépondérante prise par les professionnels du chiffre pose le problème de la défense de l’intérêt général par rapport à l’intérêt des entreprises multinationales et des gros cabinets d’audit et d’expertise comptable.

Sur le plan mondial, les Etats Unis s’appuient sur le Financial Accounting Standards Board (FASB) qui constitue la référence mondiale de la normalisation comptable, lequel FASB est la branche opérationnelle de la Financial Accounting Foundation (FAF), qui est elle-même une fondation privée assurant des missions d’intérêt général.

Il en résulte que le FASB est d’essence totalement privé exclusivement composé de professionnels affectés à cette normalisation excluant toute représentation étatique.

La normalisation comptable américaine échappe à tous contrôles de l’Etat, le seul contrôle étant celui de la Security and Exchange Commission (SEC) dont la qualité du contrôle, depuis une vingtaine d’année compte tenu de la répétition des scandales financiers, ne semble pas être une garantie ni pour le citoyen américain, ni pour les investisseurs particuliers.

Il est intéressant de retenir au passage le statut de l’ANC, puisqu’il s’agit d’une Autorité Administrative Indépendante (AAI), ces autorités agissant au nom de l’Etat tout en échappant à son contrôle, leur indépendance reposant sur :

 l’existence d’incompatibilité prévenant les conflits d’intérêt,
 les révocabilités des mandats,
 la longueur relative des mandats,
 l’exigence de compétence,
 le caractère collégial.

Cette recherche d’indépendance se rapproche par conséquent du système de normalisation comptable américain.

Il faut rappeler qu’aux Etats Unis, la loi Sarbanes-Oxley, en 2002, avait pour but de rompre le lien qui existait entre le FASB, normalisateur américain, et les lobbies des grandes entreprises multinationales.

Il suffit de reprendre la liste des scandales financiers survenus aux Etats Unis depuis 2002 pour constater l’échec de cette tentative.

Puisqu’il fallait, de toute façon sauver les apparences, au début de l’année 2008 de nombreuses initiatives ont été prises par des gouvernements et des régulateurs et c’est ainsi que le G7 s’était prononcé afin que la transparence des comptes soient améliorés dès les comptes semestriels établis à la date du 30 juin 2008.

En raison de la crise survenue au mois d’octobre 2008, il est tout à fait révélateur que les dirigeants des Etats de la zone euro, le 12 octobre 2008, aient fixé un plan d’action tendant à « assurer assez de flexibilité dans la mise en œuvre des règles comptables : compte tenu des circonstances exceptionnelles actuelles, les institutions financières comme les institutions non financières doivent pouvoir comptabiliser, en tant que de besoin, leurs actifs en prenant en compte leurs modèles d’appréciation des risques, de défaillances, de préférence aux valeurs de marché immédiates qui ne sont plus pertinentes dans des marchés qui ne fonctionnent plus. »

Cet aveu devait justifier de la part du rédacteur de l’article consacré, intitulé « Les normes comptables confrontées à la crise financière » dans le Dictionnaire permanent, un jugement qui dispense de tout autre commentaire :

« ces mesures témoignent d’une vision purement pragmatique et provisoire. On oublie les défauts intrinsèques de ces normes, sans doute pour permettre leur retour après la crise.

Auparavant, en effet, les normes IFRS applicables aux sociétés cotées permettaient d’anticiper les bons résultats, sans attendre qu’ils soient réalisés, comme l’exigent les règles comptables traditionnelles.

Pour rester simple, le remplacement de la valeur d’achat des biens figurant à l’actif par « la juste valeur » actuelle du marché, permettait d’enregistrer le bénéfice, même si les biens (et les placements) étaient destinés à demeurer à l’actif de l’entreprise.

On pouvait ainsi distribuer de bons dividendes, et augmenter les rémunérations et commissions versées aux dirigeants et aux intermédiaires »
Il faut reconnaître que cette manipulation des normes comptables a été stigmatisée par le Député Dominique Baert, devant la commission des finances de l’Assemblée Nationale le 30 octobre 2008.

Les crises financières qui se succèdent ne permettant pas aux gouvernants et aux autorités constituées de ne pas s’en inquiéter, il convient d’évoquer, très succinctement, les entretiens annuels de l’AMF qui se sont tenus le 24 novembre 2012 concernant la régulation des marchés financiers.

Il n’est pas possible de reprendre les inquiétudes qui se sont manifestées face à ce constat, à savoir que la finance était un métier de spécialistes et de techniciens et il était apparu par comparaison avec un moteur de voiture, que l’ouverture du capot de la voiture avait révélé que le moteur ne fonctionnait pas correctement.

Il s’agit, bien entendu, d’un euphémisme et s’agissant de la normalisation comptable, il convient tout de même de rappeler que le Président de l’AMF a remis en cause le recours à la valeur de marché estimant que la France devrait être très vigilante dans le cadre des travaux de convergence internationaux :

« mieux vaut l’absence de convergence qu’une convergence néfaste »

Mais il fallait aller au-delà et adapter les normes comptables afin qu’elles soient elles-mêmes soumises à l’imperium de la finance et ce, au détriment des États sur le plan fiscal et, bien entendu, des investisseurs particuliers sur le plan des profits et de la distribution des dividendes.

En effet, aucune comptabilité, qu’elle soit publique ou privée, ne peut présenter le moindre caractère de sérieux lorsque ses écritures ne reflètent pas la réalité, et ne respectent pas la règle de droit puisque chaque écriture traduit un acte ou un fait juridique.

4 - De la dette odieuse à la dette criminelle

Cette spirale infernale imposée par la finance ne devait pas épargner les gouvernements des Etats.

Le financement des services de l’Etat repose sur les impôts et les taxes, les revenus des entreprises du secteur public et sur des emprunts obligataires.
L’abandon progressif par l’État de ses pouvoirs régaliens au profit d’intérêts économiques et financiers ayant encore, autres paradoxes, conduit à deux échecs majeurs :

• sur une période d’une cinquantaine d’année, force est de rapprocher l’augmentation de la dette du nombre de scandales politico-financiers, lesquels ne représentent que la partie émergée de l’iceberg,

• le second échec résulte de l’abandon par l’Etat de secteurs économiques représentant des sources de profit important, par la voie de privatisations, c’est-à-dire des secteurs d’activités financés par le contribuable ont été remis entre les mains d’intérêts particuliers.

Il ne restait plus qu’un pas à franchir entre l’abondance des masses de capitaux poursuivant leurs conquêtes et des Etats dont les gouvernants avaient essentiellement pour soucis, de satisfaire leurs intérêts personnels et ceux de leurs clientèles, persuadés qu’ils n’auront, de toute façon, jamais à rendre de compte.

Le niveau de corruption et de cynisme n’a pas été identique en fonction des pays qui sont allés, effectivement chercher de l’argent sur les marchés financiers.

Il a été démontré à quel point l’abandon de souveraineté au profit du pouvoir monétaire et des paradis fiscaux, avaient pu appauvrir les Etats les mettant dans une situation de dépendance et de vulnérabilité favorable à la prédation.

En effet les pays, notamment ceux du tiers monde, disposant de ressources énergétiques, ont pu avoir la tentation de bénéficier de ces financements et de ne pas les affecter à des investissements publics, à des projets de développement permettant de satisfaire l’intérêt général.

C’est ainsi qu’est apparue, à la fin du XIXème siècle, la doctrine de la dette odieuse au moment de la décolonisation de l’Amérique Latine.

Une étude menée par Anaïs Tamen dans le cadre d’un colloque de Droit International du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde en décembre 2003, a effectivement le mérite d’un rappel historique accompagné de certains principes, notamment qu’est considérée comme « « odieuse » toute dette contractée par un gouvernement illégitime et/ou dont l’usage est contraire aux besoins et intérêts du peuple. »

Cette qualification suppose par conséquent :

 l’absence de consentement : la dette a été contractée contre la volonté du peuple,
 l’absence de bénéfice : les fonds ont été dépensés de façon contraire aux intérêts de la population,
 la connaissance des intentions de l’emprunteur par les créanciers.

Le rappel historique de cette étude évoque la situation du Mexique en 1861, lorsque le gouvernement déclare un gel de deux ans du remboursement de la dette extérieure, ce qui va se traduire par une répression militaire conduite par la France, le Royaume Uni et l’Espagne.

La situation devait se répéter à la fin du XIXème siècle concernant le peuple cubain, lequel bénéficia de l’appui des Etats Unis qui adopta une position satisfaisant ses intérêts géostratégiques mais tout de même intéressante, sur le plan des principes posés :

 d’une part, les créances contractées par les autorités locales servaient leur domination en finançant l’appareil répressif étouffant toutes insurrections cubaines,

 d’autre part, les créanciers avaient pris le risque de leurs investissements puisqu’ils savaient que ces dettes servaient l’asservissement d’un peuple.

Cette étude relève que la décision des Etats Unis fut enregistrée dans le traité de paix de Paris qui mit fin à la guerre hispano-américaine.

Il est admis que la décolonisation a transformé le droit international entre 1945 et 1990 et, avec la signature de charte des Nations Unis en 1945, tous les peuples accèdent au rang de peuples « civilisés » et peuvent en principe fonder leurs revendications sur la base des traités internationaux.

C’est ainsi que la convention de Vienne en 1969 codifie, d’une certaine façon, les critères de la dette odieuse en introduisant l’article 50 : corruption du représentant d’un Etat

« Si l’expression du consentement d’un Etat à être lié par un traité a été obtenue au moyen de la corruption de son représentant par l’action directe ou indirecte d’un autre Etat ayant participé à la négociation, l’Etat peut invoquer cette corruption comme viciant son consentement à être lié par le traité. »
Il est exact que cet article 50 ne concerne que les relations entre des Etats, mais le principe et les modalités de son application constituent tout de même une référence pertinente.

En effet la crise financière, la situation de la Grèce et de l’Irlande, a mis en évidence des comportements qui ne concernent pas uniquement des relations entre Etats, mais des opérations conduites par l’intermédiaire des marchés financiers et des banques, en définitive, au seul profit d’intérêts particuliers.
La France, compte tenu de sa place dans le monde, de son potentiel industriel et des garanties qu’elle offrait, n’a pas échappé à cette prédation depuis que la dette publique a augmenté de façon exorbitante.

Il résulte de différentes études que le France, depuis 1981, a vu sa dette passer de 100 milliards à 200 milliards entre 1980 et 1984, puis atteindre le double en 1991 et atteindre 800 milliards en 1998.

De 1998 à 2010, la dette a atteint 1.600 milliards pour atteindre aujourd’hui 2.000 milliards.

C’est ce qui explique la prise de contrôle de pans entiers de l’économie française par des fonds de pension, des fonds souverains, les emprunts ayant été contractés non seulement par l’Etat mais également par les collectivités territoriales et les organismes publiques.

La France n’est pas seule confrontée à cette situation mais, paradoxalement tandis que les Etats Unis, toute proportion gardée, ont un endettement quatre fois supérieurs, ils détiennent le contrôle du dollar et par conséquent de la monnaie, ainsi que la capacité ; par l’intermédiaire des marchés financiers, du secteur bancaire et des fonds de pension de s’approprier des produits des secteurs financiers et industriels qu’ils contrôlent directement ou indirectement.

Il en résulte que l’émission de monnaie qui devait être un facteur d’inflation, est compensée par la confiance que l’on accorde à l’Etat Américain dans sa capacité à produire, pas seulement de la monnaie, mais également et surtout de la richesse qui repose sur ses ressources, sa technologie, son armement, et bien entendu, les marchés financiers.

Les études consacrées à la dette et à son éventuel remboursement, admettent que l’effacement pur et simple de la dette ne compromettrait en aucun cas l’économie des pays concernés, tout au plus, les remboursements ne devraient concerner que les seules dettes dont l’origine représente un déboursé réel de la part du créancier et non pas, ainsi que le souligne une étude, les obligations acquises par l’argent créé par les banquiers qui ne sont que des dettes fictives créées d’un trait de plume.

Rappelons que le Pape Jean Paul II, a l’occasion du Jubilé de l’an 2000, avait demandé l’abolition des dettes publiques…

* * *

Confronter la démocratie à la finance criminelle permet de constater qu’il existe de nombreux moyens pour désarmer les citoyens, non seulement en entretenant une désinformation qui occulte la réalité, mais également en les privant des moyens institutionnels qui doivent assurer, en tout premier lieu, leur sécurité.

Même la délinquance a un coût, un économiste a chiffré le poids financier des crimes et délits pour la collectivité à 115 milliards d’euros par an.

C’est pourquoi, la défense nationale, dans son acception la plus large, et l’institution judiciaire, doivent être dotés des moyens qui sont à la mesure des enjeux auxquels la mondialisation confronte les citoyens.

Sur le territoire français, l’arsenal législatif existe, notamment sur le plan répressif, et à ce titre il convient de rappeler que le livre quatrième du Code pénal intitulé : DES CRIMES ET DELITS CONTRE LA NATION, L’ÉTAT ET LA PAIX PUBLIQUE édicte, sous le titre DES ATTEINTES AUX INTÉRETS FONDAMENTAUX DE LA NATION, un article 410-1 ainsi libellé :

« Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. »

En 1991, les sénateurs Hubert Haenel et Jean Arthuis, ont publié un ouvrage prémonitoire « justice sinistrée : démocratie en danger ».

Cet ouvrage avait également le mérite de rappeler que la réforme de l’institution judiciaire était devenue une priorité.

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