Article publié dans la revue du Cercle Ethique des Affaires

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L’éthique dans l’entreprise amène nécessairement à s’interroger sur la définition et la portée de chacune de ces notions, ce qui transparaît au travers de tous les articles réunis dans chacune des communications du Cercle d’Ethique des Affaires.

En reprenant certains éditoriaux, il est apparu également que le comportement de chaque individu pouvait être plus ou moins déterminé par la valeur de l’exemple, ainsi que par la force de la répression elle-même.

C’est ainsi que Monsieur Gilles AMEDEE-MANESME avait rappelé que : « la morale de l’entreprise est à l’image de la morale de son environnement économico-politique ».

Quant à Monsieur Michel LE NET, il devait ajouter : « les premiers représentants des valeurs d’une Nation sont les hommes qui la dirigent : Président de la République, Premier Ministre, Ministre. De même les élus des collectivités territoriales : Présidents des Conseils Régionaux et Généraux, Maires, ont-ils ce devoir. Devoir de rectitude, de justice, d’exemplarité. Les membres d’une société, comme ceux d’une famille, imitent inconsciemment ceux qui sont à leur tête. Le mimétisme nous façonne à l’image de nos pairs. »

Or, la mondialisation a confronté le citoyen français et, par conséquent, la plupart des entreprises à une réalité à laquelle il n’avait pas été préparé et avec une soudaineté d’autant plus brutale que le discours orchestré autour des droits de l’Homme, les rendaient moins armés pour pouvoir affronter la volonté prédatrice de certaines organisations criminelles et terroristes, réalisant leur conquête au travers des entreprises et à l’aide de la finance criminelle.

Face à de tels enjeux, cette nouvelle guerre féodale à l’échelle de la planète exige la réhabilitation de la place de l’Etat, seul détenteur légitime de la force pour permettre d’assurer la sécurité des personnes et des biens placés sous sa protection.

I – Les aspects historiques, les fondements institutionnels de l’éthique.

Les préceptes dispensés par MACHIAVEL n’ont pas leur place dans une démocratie et ce, quel que soit le sens que l’on veuille lui attribuer, puisque le doyen, Marcel PRELOT, rappelle que traditionnellement, le mot démocratie désigne le gouvernement dans lequel le grand nombre domine.

Il est formé de deux racines grecques : demos, peuple, et cratos, règne, gouvernement, pouvoir. Ce qui amène nécessairement à évoquer la délégation de ce pouvoir remis entre les mains de l’Etat et des organes institutionnels qui le composent pour effectivement assurer la sécurité des personnes et des biens.

S’agissant plus particulièrement des enjeux qui oppose la sphère politique à la sphère économique, convient-il de rappeler que dans son Traité élémentaire de droit commercial, édité en 1972, le Professeur René ROBLOT faisait remarquer, concernant l’ordre public : « il faut noter pourtant l’apparition dans le droit commercial de la notion d’ordre public. Elle était étrangère aux spéculations commerciales, car cet ordre public était autrefois l’ordre de la cité, de la famille ou du groupement. Mais le jour où l’Etat s’est inquiété de la production et de la circulation des richesses, et surtout le jour où les rivalités entre Etats sont nées, des considérations nouvelles ont augmenté le domaine de l’ordre public. »

Dans le même esprit, le Doyen Marcel ROBLOT ajoute : « le maintien de cet ordre exige des sanctions répressives. Un droit pénal commercial augmente chaque jour d’étendue. Il n’est pas rare que le législateur apporte tous ses soins à décrire la réglementation répressive et néglige l’aspect des sanctions civiles. »

Une notion aussi générale que celle de l’ordre public mériterait de plus amples développements mais contentons-nous d’affirmer que l’éthique, notamment celle qui doit régner dans le monde des affaires, participe au maintien de cet ordre public, lequel est aujourd’hui bouleversé par les moyens criminels qui sont mis en œuvre de façon insidieuse au travers de certains circuits financiers pour déstabiliser l’économie de certains Etats et prendre ainsi le contrôle de leurs richesses.

La survie d’un peuple, d’une nation, d’un Etat, dépend toujours de la qualité, de la volonté des femmes et des hommes qui participent à la défense du bien commun.

Il est tout à fait significatif de constater que l’Ancien Régime, après avoir reconnu la noblesse d’épée, devait reconnaître la noblesse de robe, et c’est parce que la notion même de noblesse impose la notion du service qu’il faut évoquer une étude de Christophe LEVANTAL, intitulée « La Robe contre l’Epée », qui reprend une citation du Chevalier de LA ROQUE : « la vertu militaire n’est pas la seule possession noble de la société civile : la paix a ses illustres, aussi bien que la guerre et la science qui fait régner la justice, ne mérite pas moins du public que la force qui conserve l’Etat. »

Ce rappel historique n’est effectivement pas anodin puisque l’on sait que c’est le Roi qui rendait la justice et que la perte de ce privilège a permis de constater au IXe et Xe siècles, la résurgence de la féodalité.

Nul doute que le XXe siècle a révélé l’existence d’une nouvelle forme de guerre, mettant en présence, non seulement des Etats, mais également des entreprises, ainsi que des organisations criminelles et terroristes.

Force est de considérer que le XXe siècle et le début du XXIe siècle ont vu apparaître une nouvelle forme de féodalité à l’échelle de la planète.

Le Monde diplomatique du mois d’avril 2000 devait consacrer plusieurs articles sous le titre : « Dans l’archipel de la criminalité financière : Etats, mafias et transnationales, comme larrons en foire. »

Cet article avait effectivement le mérite, non seulement de confirmer l’existence de cette connivence mais également et surtout de mettre en évidence la volonté d’individus se dissimulant sous le couvert de l’Etat, de l’entreprise  ou de l’organisation criminelle pour asseoir leurs pouvoirs dans le total mépris de la vie humaine et de l’intérêt social, afin de parvenir notamment à un enrichissement personnel et durable.

En effet, le secteur économique qui est celui de l’entreprise constitue l’un des secteurs les plus vulnérables à cette nouvelle forme de criminalité et de délinquance, puisque la perversion est insidieuse et parce que la satisfaction matérielle au travers du pouvoir de l’argent est immédiate.

Parce que l’entreprise est le cheval de bataille de l’économie, de nombreux ouvrages sont dorénavant consacrés à la lutte et à la stigmatisation des comportements criminels et délictuels dans le domaine de l’économie et de la finance.

C’est ainsi que dans son ouvrage consacré à la délinquance financière, sous le titre « Elite irrégulière », Pierre LASCOUME écrit : « depuis quelques années, justice et opinion publique ont bouleversé leur appréhension de la délinquance en col blanc : elles voient désormais dans les irrégularités des élites économiques et financières, non plus des erreurs que l’on peut éviter, mais des  délits qu’il faut sanctionner. »

Compte tenu de la prééminence des pouvoirs économique et financier à l’échelle de la planète, il est effectivement fondamental que le citoyen, mais également et surtout  l’entrepreneur, abordent dorénavant avec une toute autre vision les moyens utilisés par la finance criminelle.

Seule la réhabilitation de l’Etat et de ses pouvoirs régaliens mis au service de la sécurité des personnes et des biens peut permettre d’assurer la pérennité des entreprises et le maintien d’une conduite éthique qui participe, ainsi que le démontre amplement les ouvrages consacrés à ce sujet par le Cercle d’Ethique des Affaires, à l’épanouissement et la protection du bien commun.

II – Mondialisation : guerre économique et financière.

Puisqu’il a été question d’exemplarité et de mimétisme, il ne faut pas que l’éducation et les qualités morales acquises sur les bancs de l’école, et dans sa famille, puissent d’une quelconque façon constituer pour l’enfant un handicap, voire même une infirmité dans sa vie professionnelle et sociale.

Or, cette nouvelle forme de  guerre économique et financière constitue le plus grand danger pour la survie de l’éthique susceptible d’être enseignée dans le cadre des entreprises.

A toutes les époques de l’humanité, la justice et la morale ont été confrontées à la barbarie. Le XXe siècle, et sans aucun doute le XXIe siècle n’échappent pas à la règle, la forme seule a changé, ce qui exige pour chaque femme et chaque homme de la planète, pour pouvoir la combattre, de savoir tout d’abord l’identifier.

Promouvoir l’éthique dans les entreprises supposera avant tout une meilleure connaissance de notre histoire économique et financière, et par conséquent des moyens qui ont été mis en œuvre pour prendre le contrôle de pans entiers de l’économie de certains pays, en utilisant le crime, la corruption et la manipulation.

L’argent a toujours inspiré la méfiance, même s’il s’est avéré indispensable pour financer les guerres et les caprices du prince, mais aujourd’hui la démocratie lui impose une valeur qui ne doit pas seulement relever de l’économie, mais également de la morale.

C’est au XIXe siècle, et notamment sous le Second Empire, que vont apparaître de nouvelles institutions qui, autrement que sous la forme des privilèges de naissance abolis dans la nuit du 4 août 1989, vont assurer à certains de leurs descendants, la pérennité du pouvoir, sinon sur le plan politique, tout au moins dans un premier temps sur le plan économique.

Or, l’apprentissage de la démocratie va exiger de l’enseignement qu’il s’attarde sur l’origine de cette dynastie financière, les moyens mis en œuvre pour en assurer la pérennité dans certains cas, au détriment de l’intérêt général.

C’est ainsi que lorsque BEAU DE LOMENIE évoque « les dynasties bourgeoises et la fête impériale », il écrit : « aujourd’hui, pour justifier de l’énormité de leur fortune, les grandes familles de notre féodalité financière et industrielle, laissent volontiers entendre que ces fortunes ont été acquises par les seuls mérites de leur travail et sans la juste contrepartie des risques courus sur le libre marché de la concurrence. Elles ajoutent qu’elles ont, par leur réalisation puissante et audacieuse, enrichi le patrimoine national sans qu’il en coûte rien à l’Etat. »

L’auteur, en réponse à ce propos qu’il prête à ces familles, poursuit : « ce qu’il nous faut constater par contre c’est que, loin de travailler avec les risques de la concurrence sur le plan de l’économie libérale, sans recours à l’Etat, ces grandes familles, dont les descendants sont aujourd’hui à la tête de notre Etat major financier et industriel, ont établi les bases de leur fortune et de leur puissance en exploitant leurs fonctions et leurs influences officielles dans des secteurs économiques que des concessions, dépendant de l’Etat et de leurs relations politiques, avaient abrité des principaux risques. »

Il ajoute également : « dès le Premier Empire, une loi du 21 avril 1810 allait pour la première fois dans notre histoire, prévoir des concessions de mine perpétuelles. »

L’intérêt de ce rappel historique réside essentiellement dans le fait que dans tout pays qui aspire à la démocratie, existe une multiplicité d’activités parmi lesquelles il est difficile d’introduire une quelconque hiérarchie, et ce d’autant plus que leur interdépendance les rend toutes nécessaires et permet à tout individu de prétendre à son niveau remplir sa vocation.

En revanche, toujours sous la double approche de la démocratie et du pouvoir, plus encore que par le passé, vont devoir être distinguées les activités par nature délictuelle, voire même criminelle, et toutes les autres activités qui ne pourront également le devenir qu’à l’occasion de leur mode d’exercice.

Nul n’ira contester que l’activité de banquier relève d’une activité commerciale honorable et indispensable à la vie des entreprises, à la condition qu’elle ne consiste pas à faciliter l’écoulement de la fausse monnaie, voire bien pire, le blanchiment de l’argent provenant d’activités criminelles.

Or, le nombre important d’ouvrages consacrés à la finance criminelle, à la tyrannie des marchés, selon l’expression du Professeur Henri BOURGUINAT, démontre que pour la première fois, l’argent a effectivement une couleur, voire même une odeur.

Il ne saurait être question d’aborder l’avènement de l’éthique au sein des entreprises en négligeant l’existence avérée d’un pouvoir qui peut être effectivement criminel, et qui n’a pas d’autre volonté que celle de soumettre les femmes et les hommes qui ne composent pas sa famille, voire son clan, ou son réseau, à un statut plus ou moins proche de l’esclavage.

L’économie mondiale se trouve en effet confrontée à des exigences de plus en plus grandes, émanant d’une part, d’une nouvelle forme de capitalisme et des organisations criminelles et terroristes qui l’accompagne ; c’est ainsi que dans la revue « Politique Internationale », son rédacteur en chef évoquant le terrorisme, s’interroge : « De l’Europe à la lointaine Colombie, l’argent « sale » et notamment l’argent de la drogue, finance les réseaux terroristes. Comment interrompre cette pratique interlope qui s’intensifie chaque jour ? Comment couper le lien de ces deux mafias sans visage que sont les poseurs de bombes et les narcotrafiquants ? » Ainsi est résumée la part la plus obscure de l’économie et de la finance mondiale, laquelle, après avoir assuré sa mainmise sur des réseaux de trafic, des secteurs financier et industriel, a assuré également sa mainmise sur des Etats.

Face à ce fléau, des citoyens et des peuples n’admettent plus la confrontation du spectacle de cette impunité et de cette opulence outrancière avec le chômage et la violence dont ils sont de plus en plus victimes dans leur vie quotidienne.

De plus en plus, la brèche s’est agrandie, notamment avec l’explosion du trafic de la drogue, puisque les capitaux du narcotrafic sont venus dopés une économie malade, dont ils sont devenus peu à peu le poumon artificiel.

Puisqu’il s’agit de confronter l’éthique à une autre éthique, celle de l’entreprise mafieuse, il faut rappeler qu’en moins de 30 ans, le monde de l’entreprise a effectivement contaminé l’économie mafieuse, ce que dénonçait d’ores et déjà le Juge Giovanni FALCONE, avant d’être assassiné le 23 mai 1992.

C’est ainsi qu’il affirmait : « je le répète : l’infiltration des hommes de la Mafia au cœur du marché légal, jointe à la contraction des actions criminelles particulièrement éclatantes, si elle peut être interprétée de façon positive, représente en fait un phénomène inquiétant… »

Puisqu’il est question d’éthique, rappelons également l’ouvrage de Pino ARLACCHI, intitulé « Mafia et Compagnie, ou l’éthique mafiosa et l’esprit du capitalisme », qui décrit parfaitement l’esprit économique de la Mafia, notamment sous le titre « la Mafia entrepreneur ».

Il faut rappeler en effet les méthodes utilisées, à savoir le crime et par conséquent l’intimidation, le découragement de la concurrence, l’organisation autoritaire du travail s’accompagnant d’une disponibilité en ressources financières considérables, provenant notamment du blanchiment de l’argent criminel. L’auteur précise : « les importants capitaux engendrés par le circuit de l’activité illégale du mafioso tendent en effet à être versés dans le circuit des opérations des entreprises « légales ». Cette pénétration de l’argent criminel dans les circuits légaux de l’économie et notamment, dans les entreprises, vient même de justifier qu’un ouvrage soit consacré par le CNRS à « Entreprise légale, propriétaire mafieux, comment la Mafia infiltre l’économie légale. »

Il est dorénavant acquis que les paradis fiscaux, le blanchiment et l’existence de certains fonds d’investissement contrôlés directement ou indirectement par des organisations criminelles et terroristes, non seulement assurent une mainmise sur l’économie, ainsi que sur les ressources énergétiques de certains pays, mais également participent à induire des comportements totalement contraires à l’éthique qu’il est souhaitable de promouvoir dans le monde de l’entreprise, non seulement pour en assurer la pérennité, mais également et surtout pour assurer le bien être et la survie des femmes et des hommes qui composent lesdites entreprises.

Les exemples abondent aujourd’hui de la présence de certains fonds d’investissement qui viennent bouleverser un secteur économique, vider l’entreprise de sa substance après en avoir pris le contrôle et en avoir vendu les actions.

La démarche de ces fonds n’a pour but ni l’investissement dans l’entreprise, ni d’en assurer la pérennité, mais simplement de constituer pendant quelque temps, le moyen et le prétexte d’en tirer le maximum de profit.

Cette mésaventure est survenue au Groupe GROHE en Allemagne, mais, depuis quelques années, d’autres scandales financiers sont venus éclabousser des auditeurs des Cabinets de Conseil des entreprises qui ne survivaient que par la falsification des comptes et, dans certains cas, par l’injection de façon provisoire de capitaux criminels n’ayant, là encore, d’autre finalité que celle d’assurer leur blanchiment afin de pouvoir être réinvestis dans l’économie légale.

Il est évident que la pénétration de la finance criminelle dans les circuits de l’économie légale a modifié les comportements, les mentalités et est devenue le véritable ennemi de l’éthique qui doit régner dans le monde des affaires, et notamment dans le monde de l’entreprise.

III – Le bouleversement des valeurs.

L’économie et la finance criminelle ont atteint des proportions très importantes au cours des trente dernières années qui ont précédé la fin du XXe siècle.

Les armes utilisées par la finance criminelle sont essentiellement le crime et la corruption, ce qui se traduit par des comportements, notamment sur les différentes places financières de la planète, qui méprisent en réalité toute forme de réglementation.

Cette puissance financière a bien entendu des répercussions à tous les niveaux de l’économie légale, et contribue à peser sur les comportements et les mentalités des différents acteurs de la vie économique, aboutissant ainsi à privilégier la manipulation et le mensonge au détriment de la réhabilitation du courage, du sens de l’effort et de la probité.

La lâcheté et la médiocrité sont érigées en exemple, puisqu’il faut effectivement annihiler toute volonté susceptible de remettre en cause, d’une quelconque façon, cette forme de pouvoir qui est elle-même très vulnérable, à la condition de parvenir à la soumettre à la loi qui s’impose à tout citoyen dans un pays qui aspire à la démocratie.

Ainsi que le soulignait Konrad LORENTZ, la maladie du pouvoir existe, il s’agit du césarisme et il ne peut perdurer qu’à la condition d’imposer sa volonté par la terreur ou effectivement par la corruption des esprits et du système économique en place.

C’est en cela que la démocratie doit se doter d’une élite qui ne transige, ni avec le crime, ni avec la corruption, afin de répondre à la seule vocation légitime du pouvoir, à savoir celle d’assurer le service de l’intérêt général et d’offrir ainsi à chaque citoyen l’exemple d’un dépassement de soi en réhabilitant la valeur de l’effort.

En cela, l’éthique relève du domaine de la transcendance, elle invite non seulement au respect des règles instituées par le corps professionnel ou social, mais également et surtout à un dépassement de soi, en un mot, à ne pas résister à la tentation de la facilité et de la médiocrité.

En cela, l’éthique est supérieure à la loi, parce qu’elle est au-dessus de la norme, laquelle est instituée par le législateur pour permettre la cohésion sociale du plus grand nombre, tandis que la loi institue des obligations, l’éthique impose des pouvoirs à la conscience de chacun.

Le retour à des valeurs éternelles, à savoir celles du courage, de l’effort, celles qui procèdent de la seule véritable intelligence, est indispensable pour permettre à l’entreprise, laquelle constitue elle-même le cheval de bataille de l’économie mondiale, de se développer et participer à l’épanouissement de ses dirigeants, de ses actionnaires et de ses collaborateurs.

Face à la prééminence sur le plan mondial d’un pouvoir criminel dissimulé trop souvent sous les atours de l’économie et de la finance, il est très important de maintenir un front qui participe à distinguer le vrai du faux, le bien du mal, puisqu’il apparaît qu’il ne puisse exister d’autre définition plus universelle de l’intelligence que celle d’Emmanuel KANT : « l’intelligence c’est la faculté de reconnaître le vrai, le beau, le bien. »

Or, l’intellectualisme qui a régné au cours du XXe siècle a sans doute été l’un des maux majeurs de ce siècle et l’une des formes de décadence de l’intelligence.

A force de ne pas vouloir affronter une certaine réalité, à force de nier l’existence d’un pouvoir criminel qui impose sa propre loi et manipule les prétendues élites, il est évident que l’éthique elle-même semble bien désuète et bien fragile pour affronter un tel bouleversement.

La démocratie est à ce prix, à savoir qu’elle impose une remise en cause systématique de tout ce qui s’écarte du respect des valeurs éternelles qui ont participé au progrès de l’humanité, tant sur le plan moral, que sur le plan scientifique.

Dans une société qui tend vers la démocratie et qui est par conséquent d’essence aristocratique, suivant ORTEGA Y GASSET, la valeur de l’exemple remplit une mission fondamentale : « l’homme supérieur, au contraire de l’homme d’élite, est caractérisé par l’intime nécessité d’en appeler de lui-même à une règle qui lui est extérieure, qui lui est supérieure et au service de laquelle il s’enrôle librement. »

N’est-ce pas, là encore, un appel à l’éthique, à cette transcendance qui invite au dépassement de soi, au dépassement de la loi et de la norme, au service de … et tout au moins, de façon plus prosaïque, au service de l’intérêt général.

Telle doit être la seule légitimité du pouvoir, ce qui explique sans doute que même dans le monde de l’entreprise, la qualification de capitaine d’industrie ait été attribuée à de grands dirigeants,  ce qui démontre à quel point le vocabulaire du monde de l’entreprise a commis de nombreux emprunts au vocabulaire de la vie militaire.

Ces emprunts sont à ce point symbolique qu’il faut rappeler, s’agissant toujours de l’éthique, que dans un ouvrage consacré à « L’histoire des élites en France du XIVe au XXe siècle » sous la direction de Guy CHAUSSINAND-NOGARET, Arlette JOUANNA rappelle que les valeurs d’essence purement aristocratique supposaient que le pouvoir, non seulement sache affronter le péril suprême, mais également qu’il révèle une âme généreuse.

En effet, selon Arlette JOUANNA, la générosité est si bien une vertu complète que, tout naturellement, elle est sensée qualifier ceux qui la possèdent pour remplir les plus hautes fonctions, administration du royaume au sein du Conseil du Roi, ambassades auprès des souverains étrangers, charges ecclésiastiques, exercice de la justice seigneuriale ou même royale.

Puisque l’éthique au sein de l’entreprise suppose pour le moins le respect de la loi, il est également intéressant de rappeler qu’Arlette JOUANNA, dans cette étude consacrée aux élites du XIVe siècle, précise : «qu’il s’est trouvé des Avocats et des Juges des Tribunaux Royaux pour prétendre que la qualité humaine la plus évidente n’était pas celle de guerrier, mais bien celle de l’homme de loi. »

C’est dans ces conditions que, peu à peu, les offices de robe furent dotés d’une vertu anoblissante, ce qui contribua à associer l’image même de la noblesse à un style de vie bien différent de celui du guerrier.

Le seul et véritable mérite de l’évocation d’une finance criminelle et d’un pouvoir dévolu aux entreprises détournées de leur véritable vocation, est de rappeler qu’il ne peut exister d’éthique là où n’existe même pas le respect de la règle de droit, et par conséquent, le respect de la loi.

IV – Réhabilitation de la place de l’Etat

A - Ce que la démocratie attend de l’ Etat

Paradoxe du libéralisme, celui-ci ne peut prospérer et par conséquent promouvoir les femmes et les hommes qui participent à la vie de l’entreprise, qu’à la condition que l’Etat remplisse ses pouvoirs régaliens.

La mondialisation impose d’autant plus la réhabilitation de la place de l’Etat que les enjeux sont non seulement à l’échelle de la planète, mais qu’il s’agit effectivement d’assurer la conquête de l’espace et du temps.

Conquête de l’espace au travers de la communication, d’Internet, de la conquête spatiale et conquête du temps au travers des manipulations génétiques, du clonage, et par conséquent de la nécessité de prendre en considération une approche nouvelle de la notion de prescription en matière pénale.

Indépendamment de la place dévolue à l’Etat, la démocratie impose également en matière économique et financière une nouvelle exigence, celle de la transparence, c’est-à-dire une connaissance de la réalité que refusent, bien entendu, toutes les formes de pouvoir, qui ne peuvent perdurer qu’en utilisant toutes les formes de violence qu’autorisent le mépris de la vie humaine, le mépris de la loi et de toutes les valeurs fondées sur l’effort, le courage et la probité.

De même que les marchés financiers n’existent pas, il n’existe pas d’Etat ; il existe en revanche des femmes et des hommes qui sont vulnérables, plus ou moins atteints de la maladie du pouvoir, mais qui peuvent être accessibles à la sanction ; aussi, la justice doit-elle constituer dans une démocratie, l’institution la plus représentative de ce qu’il serait convenu d’appeler la forme sociale de l’aboutissement de l’intelligence. C’est-à-dire la prise en considération, non seulement bien entendu des facteurs économiques et sociaux, mais également de toutes les valeurs universelles qui s’inspirent du droit naturel.

Le seul spectacle depuis le début du XXe siècle de l’avènement du pouvoir économique suffit à se convaincre qu’il appartient effectivement au pouvoir politique de faire respecter la loi et les règles de droit qui s’imposent, non seulement à tout citoyen, mais également à toute institution, qu’elle soit publique ou privée.

Force est de constater que le pouvoir économique et financier a échoué et qu’il a participé à l’avilissement du capitalisme conçu comme une forme d’épanouissement permettant d’assurer, non seulement la prospérité des dirigeants, mais également celle de tous ceux qui contribuent au développement et à la pérennité de l’entreprise elle-même.

Contrairement à ce qui a pu être affirmé, il n’y aucune contradiction entre l’exigence d’un Etat fort et le libéralisme. Encore faut-il que l’Etat assure pleinement l’exercice de ses pouvoirs régaliens, pour permettre à ce libéralisme de s’exprimer dans le respect des règles imposées par la loi, ainsi que par l’éthique.

Parce que l’Etat a trop souvent abdiqué l’exercice de ses véritables pouvoirs régaliens, il a effectivement trahi sa vocation institutionnelle, notamment sur le plan économique et financier.

Avec la mondialisation, les Etats sont confrontés sur ce champ de bataille à l’échelle planétaire, non seulement à des multinationales, mais également à des organisations criminelles et terroristes.

Or, jusqu’à ce jour, la Mafia est la seule institution qui n’a pas trahi sa vocation.

B – De nouveaux enjeux éthiques : la maîtrise de l’espace et du temps

Dans un chapitre intitulé « Comprendre les filières financières », Alain BAUER et Xavier RAUFER rappellent que : « mener une guerre intelligente contre l’argent criminel ou terroriste suppose de maîtriser deux dimensions : l’espace, mais surtout le temps. Car aujourd’hui, le champ de bataille majeur est celui des interstices spatio-temporels, les espaces incontrôlés ».

Cette maîtrise va devenir d’autant plus indispensable qu’elle va révéler la mesure des enjeux sur le plan éthique et la mondialisation est venue trancher ce nœud gordien que constituait, notamment dans la République française, l’interpénétration du secteur public et du secteur privé.

Le « Régime d’Etat », tel que présenté par le Doyen André HAURIOU, s’oppose aussi bien au régime féodal où le privé absorbe le public (les fonctions publiques rentrant dans le patrimoine familial), qu’aux régimes totalitaires où le privé, à son tour, est intégré au public ; ainsi s’exprime le Professeur Marcel PRELOT lorsqu’il évoque cette subtile distinction du droit privé et du droit public.

Or, la maîtrise de l’espace et du temps dépend non seulement des moyens scientifiques et techniques que le XXe siècle a offert aux citoyens du monde, mais également de la volonté de tous ceux qui disposent des moyens d’en assurer la maîtrise, soit à leur propre service, soit au service de l’intérêt général.

L’éthique est présente non seulement dans la Déclaration des Droits de l’Homme, mais également dans la constitution. Aussi, lorsque le Doyen André HAURIOU se penche sur le berceau du droit constitutionnel, il ne néglige ni la civilisation gréco-latine, ni le christianisme, ni la féodalité, ni bien entendu, les philosophes du XVIIIe siècle.

S’agissant de l’entreprise et des richesses qu’elle peut procurer, le Docteur André HAURIOU rend hommage au christianisme en rappelant que « c’est au christianisme que l’on doit cette idée que les responsabilités sociales croissent avec la puissance et que de toutes les formes de puissance, la plus redoutable pour son titulaire est la richesse. »

Cette maîtrise de l’espace et du temps suppose nécessairement l’intervention de l’Etat, lequel, dépositaire de la confiance et du pouvoir qui lui sont dévolus par chaque citoyen, est seul en mesure d’assurer leur protection, non seulement sur le territoire national, mais également sur l’ensemble de la planète, en utilisant tous les moyens institutionnels, juridiques et politiques dont il dispose.

C’est pourquoi l’éthique enseignée dans les entreprises française ne doit pas, elle-même, devenir un écueil, un obstacle au développement des activités économiques et financières, tout simplement parce que le niveau de conscience morale dans certains pays est totalement relégué au second plan, puisque seuls prévaudront la satisfaction du pouvoir et l’enrichissement.

Les entreprises françaises sont ainsi confrontées depuis plusieurs dizaines d’année et ce, quel que soit le secteur d’activité, a fortiori lorsqu’il s’agit de secteurs sensibles tels l’armement et l’énergie, à des pratiques que l’éthique ne saurait tolérée, mais que la nécessité commande.

En outre, la propagation de l’information et la rapidité de sa diffusion ont amené les observateurs, notamment dans le domaine de la criminalité, à évoquer la notion de village planétaire.

Quelle peut être la place de l’éthique dans le monde des affaires, si chaque entrepreneur, confronté à une concurrence d’autant plus déloyale qu’elle sera d’origine criminelle, en vient à adopter un comportement tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, vis-à-vis de ses concurrents comme vis-à-vis de ses subordonnés, les mêmes méthodes utilisées par ces organisations criminelles et leurs séides.

La référence à des organisations criminelles se justifie notamment par l’impérieuse nécessité de mieux appréhender la place dorénavant dévolue à l’Etat et, à ce sujet, il convient de faire référence à une étude consacrée par le Centre de Recherches sur le Droit des Marchés et des Investissements Internationaux, au cours de l’année 2000, à la « souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du XXe siècle ».

De rappeler que sur le plan international, « si l’on parle tant d’éthique, c’est parce l’éthique justifie les interventions normalisatrices de ceux qui n’ont pas le pouvoir de dire le droit. »

Sous le titre « Les pouvoirs privés économiques » dans cet ouvrage, le Professeur Gérard FARJAT, considère que « l’Etat de droit ne s’étend au pouvoir privé économique et à la société internationale, qu’en vertu de lents processus de régulation qui donne l’image d’un étrange balai entre les pouvoirs publics et les pouvoirs privés, sur les thèmes du droit et de l’éthique.

En résumé, l’intérêt de cette étude réside dans la présentation des Pouvoirs Publics en tant qu’opérateurs économiques, eux-mêmes jaloux de leur prérogative, et par là même, susceptibles de mettre en place une réglementation plus ou moins attractive, notamment sur le plan fiscal et financier, et ce, bien entendu, pour séduire des capitaux privés.

Ce phénomène peut être constaté, notamment dans le domaine du blanchiment, puisqu’il est manifeste que beaucoup de pays, même considérés comme tout à fait évolués, se réfèrent à des chartes ou à une éthique, sans pour autant les respecter et encore moins appliquer une réglementation susceptible d’endiguer l’afflux de capitaux d’origine criminelle ou délictuelle.

C’est pourquoi, l’éthique va également se trouver confrontée à l’art consommé du mensonge lorsqu’il va s’agir de manipuler les marchés financiers, de présenter les entreprises sous les meilleurs auspices et, à ce titre, le Professeur Alain COTTA, dans son ouvrage consacré à l’exercice du pouvoir, considère que « le domaine d’élection du mensonge demeure néanmoins la finance, en particulier la dimension du profit, objet de toutes les convoitises, celle du fisc et des actionnaires en premier lieu. La comptabilité n’a pas cessé depuis un demi siècle, de subir les incessants assauts de ceux qui, sous prétexte de l’améliorer, l’ont rendue toujours plus imprécise, ou plutôt plus laxiste, « bonne mère ». Par l’entremise notoire des provisions, des plus ou moins values latentes, des survaleurs et de leur amortissement, profits comme bilans sont devenus plus que mensongers : de moins en moins fiables, y compris même dans leur évolution. Il est évident que les nombreux scandales qui ont éclaboussé depuis quelques années des places financières, des entreprises et des cabinets d’audit, sont là pour illustrer de tels propos, sans qu’il soit besoin d’y faire plus ample référence. »

C’est dans ce même contexte que le Professeur BOURGUINAT, dans un article du Figaro, considérait à l’époque du gouvernement RAFFARIN, qu’il fallait ouvrir d’urgence un chantier, celui de la moralisation de la finance.

Puisqu’il a été question de la maîtrise de l’espace et du temps, nul doute que la complexité toute relative mais savamment entretenue des mécanismes financiers, et les moyens mis en œuvre par des opérateurs au service d’organisations criminelles ou terroristes, vont justifier une nouvelle approche du temps et des délais, notamment de prescription, qui doivent être appliqués dans ce domaine de la criminalité et de la délinquance financière.

Cette maîtrise du temps suppose là encore la présence de l’Etat et des services qui peuvent s’engager dans un affrontement administratif éventuellement judiciaire qui s’inscrit nécessairement dans la durée.

En l’absence de telles institutions au service de la démocratie, il serait à craindre que l’éthique ne s’essouffle et que la conscience que l’on tente d’inculquer dans le secteur de l’entreprise ne soit découragée par la perspective de ne pas pouvoir résister pendant des mois, et souvent pendant des années, à des tentations d’autant plus fortes que serait présent le sentiment d’impunité ressenti à l’égard de ceux qui se dispensent de respecter un code de bonne conduite et, a fortiori, les lois.

Cette maîtrise du temps, parce que la connaissance de la corruption d’hier justifie la corruption d’aujourd’hui et celle de demain, dès l’instant où s’installe un sentiment d’impunité, non seulement la prise en considération du temps est déterminante pour la survie de l’éthique, mais également pour la démocratie, et ce compte tenu des progrès que laisse augurer la recherche médicale dans le domaine de la génétique.

Il s’agit d’un enjeu éthique majeur qui a été abordé, notamment par Axel KAHN, puisqu’il s’agit, non seulement sur le plan de la santé de promouvoir l’espoir de guérison que procurent les recherches dans le domaine des cellules souche, mais également de promouvoir tous les moyens permettant de limiter les abus que provoqueraient des ambitions mercantiles dans ce domaine de la recherche.

Au travers de la recherche médicale, de la perspective en quête d’immortalité et du risque encouru par la récupération de toute cette recherche et de ses retombées par le secteur privé, force est, là encore, d’envisager, à la fois sur le plan de l’éthique, comme sur le plan de la santé publique, la place qui doit revenir à l’Etat pour permettre d’éviter que ne s’installe une discrimination par l’argent.

Il ne fait aucun doute que l’éthique serait reléguée bien loin s’il s’avérait que certaines entreprises puissent ainsi multiplier leurs profits en accaparant le contrôle de certains domaines de la recherche, et sans espérer la guérison d’affections aussi graves que la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson, voire le cancer.

Dans le domaine médical, l’éthique est depuis longtemps un sujet de préoccupation qui deviendra d’autant plus exacerbé qu’il sera source de profit et de rentabilité.

C – Les devoirs de l’Etat face au libéralisme économique et financier imposé par la mondialisation

Au cours du XXe siècle, les organisations criminelles et terroristes ont acquis cette maîtrise de l’espace et du temps pour des raisons évidentes sur lesquelles il n’apparaît pas utile de s’attarder, mais puisqu’il s’agit d’évoquer l’éthique, pour une raison fort simple, c’est l’absence totale de scrupules dans l’application de la peine de mort et la mise en œuvre de la corruption.

Le nombre des ouvrages consacrés à ce sujet est beaucoup trop important depuis une trentaine d’années, pour pouvoir les citer, mais tous les observateurs, les enseignements, les magistrats et les policiers en charge de la lutte contre la finance criminelle sont unanimes, il convient d’adapter les institutions de l’Etat à ces nouveaux enjeux.

En effet, le sentiment d’impuissance affiché par l’Etat dans une telle lutte aboutit à réveiller des peurs ancestrales, rétablissant ainsi un système féodal puisque chaque citoyen est prêt à se jeter dans les bras de celui ou de ceux qui apparaissent les mieux armés pour assurer la sécurité de sa personne et de ses biens.

Il ne s’agit, là encore, que du balancier de l’Histoire, qui oscille sans cesse entre un pouvoir fort au service du plus grand nombre, ou bien un pouvoir faible favorisant l’oligarchie ou le système mafieux.

Il est évident qu’un tel système fondé sur la négation de la loi, et par conséquent du droit, méprise totalement l’éthique, ce qui conduit à substituer à la lex mercatoria « l’écomafia » ainsi que le rappelle la Président du Cercle des Comparatistes Droit et Finance, Madame DUCOULOUX-FAVARD, dans un article intitulé « Les dommages sur l’économie mondiale : l’exemple de l’écomafia ».

La prise de conscience de l’ampleur et de la gravité de ces phénomènes est relativement récente et, à ce titre, parmi les institutions qui analysent avec lucidité et rigueur ces nouveaux enjeux, il faut, sans aucun doute, placer en première ligne la Caisse des Dépôts et Consignations, laquelle, depuis 1987, sous le patronage du Ministère de l’Economie et des Finances et de la Banque de France, a créé l’Association d’Economie Financière qui publie, chaque année, un rapport moral sur l’argent dans le monde.

Ceux qui manifestent un quelconque intérêt pour la finance criminelle, ainsi que pour toutes les formes de malversations et de corruption, connaissent l’insuffisance prise en considération des rapports de la Cour des Comptes publiés chaque année, et s’attardant sur des actes et des faits commis dans le champ clos de la République Française.

A fortiori, ce rapport moral, établi sur la base des informations qui concernent les flux financiers dans le monde, n’a pas d’autre prétention que celle d’enseigner et de diffuser l’information à tous les professionnels confrontés aux conséquences économiques et sociales de cette forme de délinquance, et surtout de criminalité.

Puisqu’il s’agit encore une fois de l’éthique dans l’entreprise, il est important de souligner que ce rapport s’intitule effectivement « Rapport moral sur l’argent dans le monde », c’est-à-dire qui consacre effectivement la nécessité, ainsi que nous l’avons rappelé, de donner à l’argent, dans une démocratie, une toute autre dimension que celle qui a été la sienne depuis l’histoire de l’humanité.

Depuis plusieurs années, ce rapport moral s’attarde sur deux phénomènes qui n’ont pu être abordés que de façon tout à fait superficielle,  à savoir les paradis fiscaux, ce que Jean-François THONY, Magistrat, qualifie de « problématique off shore » rappelant que « le premier des services offerts par les paradis financiers est celui de la protection de la souveraineté de l’Etat ».

Il s’agit, par conséquent, d’un véritable commerce de la souveraineté, ainsi que le souligne les auteurs d’un rapport des Nations Unies.

L’existence de ces paradis financiers a, bien entendu, favorisé l’accélération, ainsi que l’accroissement du blanchiment.

Là encore, il n’est pas question d’évoquer l’arsenal législatif qui existe et qui peut être mis en œuvre pour lutter efficacement contre toutes les formes de blanchiment. En revanche, cet article, essayant d’aborder la place de l’Etat confronté à la finance criminelle, au regard de l’éthique, convient-il tout de même de s’interroger sur la qualification de blanchiment ainsi appliquée indifféremment en matière de fraude fiscale et en matière de finance criminelle.

L’approche éthique impose en effet qu’une telle qualification ne prête pas à confusion dans l’esprit des citoyens, sans qu’il soit besoin de rappeler les dispositions du Code Pénal en la matière ; apparaît-il simplement souhaitable d’évoquer l’esprit qui animait la circulaire du
10 juin 1996 émanant de la Direction des Affaires Criminelles, présentant le commentaire de la loi du 13 mai 1996.

Le préambule de cette circulaire avait le mérite de présenter la gravité des enjeux, tant sur le plan politique que sur le plan économique.

« La criminalité organisée et le trafic des stupéfiants constituent des délits majeurs auxquels sont confrontées les démocraties modernes. La lutte contre ces fléaux s’avère d’autant plus difficiles que les profits considérables qu’ils engendrent sont recyclés à travers des circuits financiers de plus en plus élaborés, et réinvestis dans des activités qui pourraient être formellement légales, se trouvent entre les mains de réseaux criminels qui les gèrent selon les principes et avec les méthodes qui leurs sont propres. »

La création d’un délit général de blanchiment avait pour but de pallier certaines défaillances relevées dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 31 décembre 1987 dans le domaine du trafic des stupéfiants, lorsqu’il s’agissait de prouver l’origine des fonds, ainsi que d’apporter la preuve que le prévenu avait connaissance que les fonds provenaient précisément d’un trafic de stupéfiants.

Cependant, les espérances qui avaient été placées dans la création de ce délit général de blanchiment, ont été déçues et l’unanimité des professionnels confrontés à cette lutte, admettent que les résultats ont été fort modestes au regard de l’ampleur du phénomène lui-même et de ses répercussions, tant sur le plan de la criminalité, que bien entendu sur le plan économique et social.

En outre, il convient d’admettre que la création d’un délit général de blanchiment qui va recouvrir à la fois des crimes et des délits, lesquels présentent une nature et une gravité d’un degré tout à fait différent, pose une réelle difficulté à la fois sur le plan moral et bien entendu sur le plan juridique.

Puisqu’il est encore une fois question d’éthique dans le domaine de l’entreprise, il n’est pas facile d’admettre que la qualification de blanchiment puisse s’appliquer de la même façon, à la fraude fiscale, à l’abus de bien social et à une activité criminelle.

Sur le plan de la démocratie, et par conséquent de la nécessité d’amener les citoyens à la reconnaissance de la même échelle de valeurs, cette assimilation a des conséquences graves.

Elle aboutit, d’une certaine façon, à banaliser le blanchiment de l’argent provenant des activités criminelles, et notamment de la finance criminelle, et à placer effectivement sur le même plan des délits qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques et qui surtout n’ont pas les mêmes conséquences sur le plan économique et social.

Le sens commun admettra que la finance criminelle, le trafic de drogue et les opérations financières qui l’accompagnent, mettent effectivement en cause la sécurité des personnes et des biens, ainsi que la santé publique, ce qui n’est pas le cas de la fraude fiscale ou de l’abus de bien social, même si ces délits doivent trouver leurs justes sanctions.

Ainsi, ces nouveaux enjeux conduisent l’Etat à se doter d’institutions qui soient adaptées à cette lutte, et en raison de la gravité des conséquences qui en résultent, à la fois sur le plan politique, économique et social, c’est un véritable devoir pour l’Etat d’enseigner et d’informer, pour permettre à la loi d’être acceptée, comprise et par conséquent appliquée.

L’éthique commande pour l’Etat de prendre en considération l’esprit de chaque loi promulguée.

 

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