L’introduction du référendum d’initiative populaire en France correspond à un renforcement des droits des citoyens. Le citoyen français se voit reconnaitre en pratique le droit de participer directement à la législation par l’initiative et par le vote ainsi que le droit de consentir lui-même à l’impôt. En réalité, ces droits sont déjà contenus dans notre constitution mais aucun dispositif juridique ne permettait de les mettre en pratique. En effet, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mentionne par deux fois le droit du citoyen à pratiquer la démocratie directe dans les articles 6 et 14.

Voici l’article 6 :  » La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les ci­toyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation ».

Voici l’article 14 :  » Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consen­tir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » Cet article 14 lorsqu’on connait les conditions réelles du vote du budget par le Parlement et l’absence de démocratie directe en France, est pratiquement resté lettre morte .

Notre revendication d’instituer la Démocratie Directe en France est donc une exigence de meilleure application de notre constitution. Celle-ci, dans son article 3, précise d’ailleurs que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du Référendum. Cet article écarte explicitement toute forme de technocratie ou de gouvernement d’un lobby quelconque : « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Ainsi, notre projet de réforme constitutionnelle, tel que Madame DAUGREILH l’a présenté, ne fait que mettre en pratique des principes inscrits dans notre constitution mais qui sont jusqu’à présent, restés lettre morte.

Ces lacunes juridiques dans l’application des principes ne sauraient malheureu­sement étonner. Notre pays, malgré toutes les belles proclamations est loin d’être un exemple parfait en matière de règne du droit. L’existence d’un droit public distinct du droit privé et qui comporte des prérogatives de puissance publique, tels que les pouvoirs spéciaux accordés aux administrations des douanes ou des impôts, est une objection réelle, en l’état actuel du droit positif, au caractère véritablement libéral de notre régime politique. La séparation des pouvoirs connait en France bien des accrocs et la réalité d’un pouvoir techno­cratique qui domine un monde politique empêtré dans les querelles politiciennes et soumis -à des états-majors partisans recrutés par cooptation, s’impose à tous.

Nous vivons dans une technocratie bien tempérée par une façade institutionnelle démocratique et parlementaire. Mais cette technocratie pratique un dirigisme sournois qui bien souvent, limite la portée du règne du droit dans notre pays.

Qu’est ce qui garantit en France, la pérennité du règne du droit, c’est à dire

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le maintien des libertés fondamentales et de la sécurité qui y est attachée pour le citoyen dans sa vie quotidienne ?

Aucune institution n’apporte de garantie ultime : le parlement peut opprimer. On l’a vu avec la Convention sous la révolution. Le vote de la loi SAVARY s’attaquant à la liberté de l’enseignement a rappelé la possibilité permanente d’un « coup de majorité » mettant en cause un droit fondamental. L’élection elle- même n’est pas une garantie suffisante contre la dictature : la République de WEIMAR l’a montré.

La présence d’une Cour Suprême peut également avoir des effets ambivalents. Selon les circonstances et sa composition, elle pourra protéger les libertés des citoyens ou gouverner contre leur volonté (« gouvernement des juges »).

De nombreux exemples sur d’autres continents comme en Amérique Latine montrent que des constitutions libérales ne pèsent pas lourd lorsque la sociologie de l’opinion, lorsque la culture d’une nation n’est pas sensible au respect des libertés.

Le Professeur HAYEK a bien montré que ce qui protège nos libertés est un certain état prédominant dans l’opinion qui rend impossible le maintien d’un régime despotique. Autrement dit, c’est une culture, une civilisation qui protège nos libertés. Les institutions sont indispensables pour donner une forme pratique à cette protection. Mais sans base culturelle, elles ne sont plus protectrices.

Or la démocratie directe repose sur le respect de cette opinion et même sur son enrichissement culturel. Le référendum d’initiative populaire exerce un effet pédagogique considérable dont nous sentons cruellement le besoin dans notre pays. En organisant une saine compétition dans l’élaboration des lois entre le peuple, le parlement et le gouvernement, elle responsabilise chacun des partenaires. Elle permet au débat politique de traiter les sujets au fond, au lieu de se perdre dans les querelles de personnes et de partis. Le travail des journalistes politiques prend alors un intérêt nouveau et la qualité des informations politiques est plus grande.

La démocratie directe donne, par ailleurs, une force plus grande à la loi, en augmentant sa légitimité par le consentement direct des citoyens eux-mêmes. Le règne du droit est donc plus grand qu’en démocratie purement représentative.

Le Référendum d’Initiative Populaire est-il compatible avec la suprématie du droit constitutionnel ?

Au niveau local, les arrêtés votés par référendum s’insèrent nécessairement dans la hiérarchie des règles de droit. Ils sont soumis au droit national et sont l’objet du contrôle judiciaire de droit commun. La question ne se pose pas.

Mais au niveau national, la question est souvent évoquée de la compatibilité de la démocratie directe avec le contrôle de la constitutionnalité d’une part, avec le respect des traités d’autre part.

Les 5 pays qui pratiquent la démocratie directe, les Etats Unis, l’Italie, l’Autriche, la Suisse et le Liechtenstein ont choisi des solutions variées.

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Aux Etats Unis, les Cours Suprêmes des Etats contrôlent la constitutionnalité de toutes les lois qu’elles résultent d’un vote du parlement ou d’un référendum. De plus, ces hautes juridictions interdisent parfois l’organisation de référendum d’initiative populaire. En 1983, la Cour Suprême de Californie, a empêché la tenue d’un référendum (Sebastiani Initiative) pour supprimer le gerryrmandering des circonscriptions législatives. Cela a fait un grand scandale car 6 des 7 juges étaient démocrates et semblent avoir purement et simplement défendus les intérêts de leur parti à cette occasion en affirmant que la matière ne relevait que du parlement.

Les Tribunaux annulent aussi les référendums dont l’objet porte sur plusieurs sujets à la fois , afin de respecter le principe de l’unité de matière : à chaque réponse demandée, doit correspondre une seule question claire . A notre avis, ceci est tout à fait justifié. Monsieur Mc Guigan, l’un des meilleurs experts américains en matière de démocratie directe, estime que les tribunaux peuvent contrôler l’unité de matière mais non pas à délimiter le champ du référendum arbitrairement. Un juge peut se tromper tout autant qu’une majorité. De plus, il rappelle que les pères fondateurs américains avaient voulu éviter de concentrer le pouvoir dans les mains de très peu d’hommes fussent des juges. Thomas JEFFERSON a ainsi déclaré en 1820, que considérer les juges comme les arbitres uniques et suprêmes de toutes questions constitutionnelles, est une doctrine très dangereuse qui nous placerait sous le despotisme d’une oligarchie. Et Jefferson précise : « nos juges sont aussi honnêtes que les autres hommes, mais pas plus. Ils ont comme les autres les mêmes passions pour leur conviction partisane, pour leur pouvoir et pour les privilèges de leur fonction ».

En Italie, le contrôle est effectué aux différents stades par le B.C.R. (Bureau Central pour le Référendum), la Cour Constitutionnelle, le Président de la République et le Parlement. Ce dernier est critiquable. le Parlement peut empêcher la tenue d’un référendum en abrogeant tout ou partie de la loi visée par celui-ci. Cela aboutit à limiter fortement l’expérience italienne car le parlement dans ce cas est juge et parti.

Cette législation est à rapprocher de celle de l’Autriche. 100.000 électeurs peuvent y présenter un projet de loi mais le parlement peut décider de ne pas donner suite. Le nombre de référendums qui ont franchi ce veto est très réduit (7 depuis 1964).

En Suisse, il n’y a pas de contrôle de constitutionnalité sur les initiatives puisqu’­elles ont elles-mêmes un caractère constitutionnel. Par ailleurs, le 22 juillet 1939, le peuple suisse avec l’accord du parlement, s’est opposé à l’introduction d’un contrôle de constitutionnalité sur la législation nationale. Cependant, il semble que le Conseil National puisse décider si une initiative propose la révision totale ou la révision partielle de la Constitution. Toute modification d’un droit fondamental relèverait de la révision totale qui exige une procédure lourde de révision constitutionnelle. A notre avis, une telle formule est intéres­sante. Rien ne s’oppose à ce qu’il y ait une procédure plus lourde qu’un simple référendum en cas de révision de la constitution, c’est à dire du pacte fondamental. Le Conseil Constitutionnel pourrait dans certains cas de référendums exiger le recours à l’article 89.

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Celui-ci prévoit en effet, l’intervention du Parlement et du peuple. Mais il faudrait dans ce cas que l’initiative puisse aussi revenir aux citoyens de déclen­cher l’article 89, ce qui n’est pas le cas à présent. On aurait alors un système plus équilibré.

Reste alors le problème du respect des traités. Les traités dans les matières réglementaires ne pourraient faire l’objet du référendum par définition. En matière législative, le référendum serait possible, comme c’est le cas en Suisse. Après tout, un traité peut être révisé. Cela n’appelle pas de difficultés particulières sauf dans le cas du droit européen. Il n’est pas normal que des directives de Bruxelles touchant des matières législatives s’appliquent en France sans vote d’aucun parlement, ni du peuple. Il y a là quelque chose de choquant qui donne aux institutions de Bruxelles un caractère technocratique préoccupant.

L’Europe ne doit pas être le prétexte à une réduction de la démocratie. Une modification des institutions européennes semble à terme devoir s’imposer pour introduire des modalités de contrôle parlementaires et populaires. Finale­ment, le référendum d’initiative populaire peut donc s’insérer parfaitement dans notre système juridique.

Les exemples étrangers montrent non seulement qu’il est compatible avec le règne du droit mais encore qu’il renforce celui-ci. En toute honnêteté, le règne du droit est-il plus grand en France ou bien en Californie ou en Suisse ?

La réponse n’est pas douteuse, et elle n’est pas sans doute pas à l’avantage de nos institutions actuelles.

Le respect du règne du droit n’est pas seulement souhaitable pour des raisons de morale formelle mais il s’avère une source d’efficacité importante pour la nation qui l’adopte dans la perspective de la compétition internationale et singulièrement européenne qui s’ouvre devant nous. En effet, il assure une absence d’arbitraire et donc une stabilité génitrice de confiance des relations entre l’Etat et les citoyens. C’est un facteur important d’efficacité économique. Il importe aussi de nous préoccuper de l’efficacité de nos institutions.

Aux Etats Unis, de nombreux hommes politiques considèrent que les Etats qui pratiquent la démocratie directe, principalement ceux de l’Ouest, ont eu une législation de meilleure qualité que ceux de l’Est qui ont un régime purement représentatif. Il est certain que la croissance économique, par exemple est particulièrement forte à l’Ouest des Etats Unis.

Le député républicain de l’Etat de New York, Jack KEMP, qui milite pour une réforme de la constitution introduisant le référendum d’initiative populaire au niveau fédéral, fait une constatation analogue lorsqu’il déclare : « Un pays du monde a plus de démocratie que les Etats Unis et c’est aussi un pays où il y a plus de sécurité et de prospérité qu’aux Etats Unis. Ce n’est pas un hasard. En Suisse, les citoyens ont l’initiative des lois au niveau national et peuvent annuler une loi par le référendum. »

Comment se fait-il que les nations qui pratiquent la démocratie directe semblent prendre des décisions de meilleure qualité en moyenne que les démocraties purement représentatives, lesquelles obtiennent en moyenne de meilleurs résul­tats que les dictatures de l’Est ou du Tiers Monde ?

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La réponse à ce paradoxe a été fournie par le Professeur Friedrich Von HAYEK de façon magistrale. C’est une question de cybernétique de l’information.

On pourrait croire a priori qu’un état dont l’économie est planifiée par un comité d’experts très savants, fonctionnerait mieux qu’une économie de marché pro­grammée par les choix de millions de consommateurs sensés être peu com­pétents.

Et pourtant, c’est l’inverse. L’économie de marché s’est révélée plus efficace que le Plan.

La raison en est que des millions de consommateurs, chacun d’entre eux ayant peu de compétences, représentent un stock d’informations gigantesques qu’aucun système statistique ne peut faire remonter à un Office Central du Plan.

Partant de là, les décisions prises en économie de marché sont bien meilleures car elles sont prises sur la base d’informations très riches sur la situation réelle de chacun.

Les planificateurs ont beau être des experts triés sur le volet, les informations dont ils disposent à travers les statistiques de la bureaucratie seront toujours plus pauvres quantitativement et qualitativement que celles qui sont disponibles sur le marché.

En politique, il en est de même. Le Référendum d’Initiative Populaire permet d’introduire dans les mécanismes de décision politique, des informations nouvelles que l’appareil bureaucratique gouvernemental, même aidé par le Parlement, n’a pas. Par exemple, lors du débat sur l’introduction de la TVA en Suisse, les hauts fonctionnaires, les médias, les syndicats, les hommes politiques approu­vaient l’idée d’un impôt indolore. Par contre, une idée nouvelle est venue des citoyens, celle que l’impôt indolore déresponsabilisait le citoyen. Celui-ci se laisse dès lors prendre son argent puisqu’il ne s’en aperçoit pas. C’est la porte ouverte à toute augmentation sournoise du prélèvement fiscal.

Ainsi, la démocratie directe permet de mobiliser une quantité considérable d’informations et de rapprocher les préoccupations des gouvernants de celles des citoyens. En effet, l’existence même du référendum d’initiative populaire crée « l’effet Damoclès ». Le gouvernement et le parlement étudieront l’opportu­nité de leurs projets bien plus qu’aujourd’hui dès lors qu’il y aura toujours la menace d’une annulation populaire. Cela permet d’éviter les textes de loi rédigés hâtivement qui sont plus fréquents qu’on ne le croit.

Nous pouvons donc conclure avec le grand juriste CARRE de MALBERG « Si donc on veut que la loi soit vraiment une expression de volonté générale et si c’est aussi à sa qualité de volonté générale que l’on fait remonter sa vertu obligatoire, il faut inévitablement en venir à conférer au corps populaire, un certain rôle actif dans l’œuvre de législation ».

Introduire le Référendum d’Initiative Populaire en France, c’est à la fois ren­forcer notre droit et redonner vie à notre démocratie. C’est redonner à notre vie politique plus d’authenticité et plus de vigueur intellectuelle

Yvan BLOT

7 janvier 1989

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