Bulletin d’inscription au colloque : Justice Pénale Internationale et Droit Humains

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Ce colloque vient à point nommé. Il intervient pendant ce qu’il a été convenu d’appeler une crise financière majeure.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une crise financière, elle aura permis de mettre en évidence l’émergence d’intérêts particuliers, dont la puissance est aujourd’hui supérieure à celle des états.

Il n’est pas possible de comprendre cette crise si l’on ne retrace pas le parcours du pouvoir criminel lorsqu’il s’exprime au travers de l’économie et de la finance, et ce depuis le début du 20ème siècle.

I -        Le césarisme : maladie du pouvoir

C’est ainsi que Konrad Lorentz qualifie cette maladie puisque la nuit du 4 août 1789, en abolissant les privilèges, n’abolissait-on pas la propension de certains individus à s’octroyer un sentiment de supériorité qui les exonère du respect de la loi, de la morale, voire du respect de la vie de ceux qui s’opposent à leur maladie.

Lorsque la démocratie est d’essence aristocratique, elle impose l’état de droit, ce qui suppose que son application ne procède que de l’Etat auquel chaque citoyen délègue sa parcelle de pouvoir, et ce afin d’assurer la sécurité des personnes et des biens. C’est en effet la seule légitimité du pouvoir et par conséquent celle de l’Etat, institution suprême qui détient seule la légitimité de la violence.

La noblesse n’a justifié ses privilèges que par le service pouvant aller jusqu’au sacrifice de sa vie, ce qui a justifié son passage de la noblesse d’épée à la noblesse de robe, puisque les fondements de l’une et de l’autre reposent sur le courage, l’honneur et la probité.

L’Etat ne remplissant pas ses pouvoirs régaliens, en résulte nécessairement le recul de l’Etat de droit, favorisé par plusieurs causes :

-           la volonté des tenants de tout pouvoir politique de parvenir à s’exonérer du respect de la loi qui s’impose à tout citoyen,

-           la mise en place progressive d’une prééminence du discours économique, puis dans un second temps de la finance elle-même.

L’économie et la finance sont de ce fait le dénominateur commun :

  • d’une certaine forme de capitalisme,
  • d’une certaine application du marxisme,
  • et bien entendu du système mafieux.

De ce fait, il n’est pas question d’adhérer à une quelconque théorie du complot.

Force est tout simplement d’admettre qu’il existe des convergences d’intérêts, notamment entre le pouvoir financier et les organisations criminelles.

II-        Les institutions invisibles :

La guerre a toujours existé entre des tribus, des clans, des états, des nations et des peuples.

Au niveau international, toutes les formes ont existé, les colonisations, les invasions, et elles n’ont été contenues, dans un premier temps, que par l’existence de frontières naturelles, qu’il s’agisse de montagnes ou d’océans, puis par des frontières et des traités, venant ainsi sacraliser la souveraineté des états.

C’est l’objet de ce colloque : la perte de cette souveraineté par ces états au profit d’intérêts particuliers, notamment les organisations criminelles, qui peuvent ainsi dépouiller et opprimer tous ceux qui ne reconnaissent pas leur imperium.

Le dictionnaire nous apprend qu’instituer, c’est fonder de façon durable. La France a été longtemps partagée entre les pays de droit coutumier et les pays de droit écrit, la notion de pays étant à rapprocher de la notion de peuple.

La coutume demeure toujours présente, soit qu’elle soit inscrite dans des textes, soit qu’elle se transmette par l’exemple et par la parole et se concrétise sous la forme d’actes.

Les tribus, les clans, les organisations criminelles ont leurs coutumes. Elles perdurent au-delà des frontières et la mondialisation a ainsi permis de rendre ostensible ce qui était invisible.

Le pouvoir a toujours eu besoin de se perpétuer par la naissance, par la reconnaissance de sa légitimité, en s’appuyant sur des institutions conçues et respectées par ceux qui acceptent de se soumettre.

Les organisations criminelles constituent elles-mêmes des institutions longtemps invisibles, dont la mondialisation a révélé un pouvoir plus puissant que tout autre puisqu’il puise ses sources dans les fondements les plus ancestraux de la barbarie.

Cette reconnaissance de l’existence institutionnelle des organisations criminelles permet aux citoyens, dans le cadre de la mondialisation, de choisir leur destinée. Quel que soit ce choix, il ne sera pas dénué des aléas qui caractérisent la condition humaine, mais le simple fait que ce qui était invisible a cessé de l’être confère à cette nouvelle existence une dimension humaine, par là même imparfaite et vulnérable, et à ce titre, la création d’un Tribunal Pénal International a été un tout premier pas.

Chaque peuple doit savoir qui le domine et l’opprime, qui le défend et le protège et ne pas prêter à des pantins des pouvoirs et des qualités qu’ils n’ont pas, et qui participent par là même à décevoir tout espoir en la démocratie.

Seul l’Etat a le pouvoir de combattre ces organisations criminelles et terroristes, lesquelles inspirent une peur tout à fait justifiée puisqu’elles ne connaissent pas la prescription et appliquent la peine de mort sous la forme du crime.

C’est pourquoi, tout système institutionnel d’essence démocratique exige l’existence d’un état, qui assume dans toute sa plénitude les pouvoirs régaliens dont la seule légitimité repose sur la protection des personnes et des biens.  Le début du XXI siècle aura permis de constater l’avènement d’un système institutionnel qui n’avait pas encore été enseigné dans les écoles et les universités: le système mafieux.

III-      La dimension criminelle de la crise financière

Une tribune a été consacrée à cette dimension criminelle de la crise financière par Messieurs Jean-François GAYRAUD, commissaire divisionnaire, et Noël PONS, conseillé au Service Central de Prévention de la Corruption.

Le XXème siècle aura été parcouru de soubresauts, puis d’irruptions révélant la mainmise d’organisations criminelles sur une économie souterraine et surtout, sur la finance.

Aucun continent n’y a échappé. Le système financier japonais a été ébranlé par l’impossibilité de recouvrer les prêts consentis à des entreprises placées sous le contrôle de la mafia japonaise, c’est-à-dire les yakusas. Bien que la plupart du temps, les évaluations chiffrées soient approximatives, et le plus souvent sous-évaluées, les pertes auraient été estimées, pour le secteur bancaire, en 1998, à plus de 600 milliards de dollars.

Les auteurs de cette tribune rappellent qu’au mois de mai 2008, le Ministre de la justice américaine, Michael MUKASEY, aurait lancé une alerte publique concernant la menace grandissante pour la sécurité nationale de la « pénétration des marchés par le crime organisé ».

Le danger que représente cette mainmise de la criminalité organisée sur la finance et l’économie a notamment été dénoncée dans le rapport d’information n° 72 établi par le Sénateur Gérard LARCHET en 1992 au nom de la mission commune d’information chargée d’examiner la mise en place et le fonctionnement de l’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 sur le trafic de la drogue dans l’espace Schengen. En introduction à ce rapport, le Sénateur Gérard LARCHET rappelait :  « Une semaine avant sa mort, le juge Falcone déclarait : « le danger de la drogue pour l’Europe, c’est le Hezbollah plus un milliard de dollars » ». Ce rapport établissait un constat : « l’énormité des gains réalisés dans le commerce de la drogue met en danger la démocratie dans l’espace Schengen ».

Il a été rappelé que la guerre au niveau mondial avait toujours existé, mais que les formes avaient évolué du fait des progrès de la science et de la technologie, de la mise en place des moyens juridiques et comptable favorisant l’opacité sur la provenance des flux financiers.

Il n’est pas possible de comprendre le système financier mondial s’il n’est pas tenu compte d’intérêts particuliers pour lesquels l’argent constitue le seul maître ; des empires se sont défaits, des dynasties ont disparu ; l’argent a permis à ceux qui le gagnent et l’utilisent sans scrupule de perpétuer et de transmettre leur pouvoir.

Pendant longtemps, l’histoire a été enseignée au rythme des batailles et des guerres. Aujourd’hui, elle doit tenir compte d’une nouvelle forme de conquête, celle que permet la puissance financière.

Chaque pays, en fonction de ses ressources énergétiques, de ses matières premières, de son savoir-faire, a dû s’adapter à cette nouvelle forme de guerre. Certains pays ont su tirer parti de leur expérience et de leur souveraineté pour favoriser l’explosion de paradis fiscaux et de tout l’arsenal juridique et comptable qui les alimente.

Sur le plan de la finance, les anglo-saxons ont pris une longueur d’avance. La place de la City, la position de la Réserve Fédérale aux USA ont démontré l’existence d’un imperium financier qui est parti à la conquête du monde.

Après la crise de 1929 aux Etats-Unis, ont été mises en place des firmes de conseils, dont les animateurs proviennent d’officines d’agents de change qui investissent peu à peu le monde de l’entreprise, les universités et finissent par s’associer avec les avocats, détenteurs du monopole du droit, lesquels auparavant les méprisaient.

Cette conquête a été insidieuse, voire sournoise puisque, sous couvert de la liberté d’entreprendre, de la nécessité de développer les échanges et le commerce, la place du droit a régressé.

La transformation du droit en un marché a été le premier grand échec de cette bataille perdue pour la démocratie puisque le rempart de la loi – et surtout de son application – n’existant plus, les produits financiers provenant des divers trafics ont atteint des sommes considérables, prenant en otage par l’intermédiaire des marchés financiers des pans entiers de l’économie mondiale.

L’esprit qui anima cette conquête résultait d’une convergence d’intérêts particuliers dépourvus de toute déontologie sur le plan professionnel, de toute conscience morale sur le plan politique et bien entendu de tout scrupule dans le mode de contrôle et de gestion des entreprises.

Il n’est pas possible, en effet, de comprendre les sursauts de la finance mondiale si, ne sont pas pris en considération, les moyens utilisés par les acteurs qui en bénéficient et qui par conséquent les provoquent.

IV -      La corruption des normes juridiques et comptables

Quel esprit a animé les réformes juridiques et comptables qui accompagnent la pénétration de l’argent criminel dans l’économie ?

Force est de constater que depuis la fin du XIXème siècle et au tout début du XXème siècle, l’exigence de transparence qu’impose la démocratie a eu pour corolaire les soucis de certains pouvoirs politiques et financiers de renforcer l’opacité, de favoriser la mise en place de fusibles qui rendent inaccessibles ce qui est criminel et incompréhensible ce qui est illégal.

Le Barreau de Paris ainsi que plusieurs barreaux de Province se sont à juste titre inquiéter de cette prise de pouvoir de la finance sur le monde de l’entreprise.

C’est ainsi qu’Alain CORNEVAUX a été chargé d’établir un rapport sur l’opposition du chiffre et du droit, puisqu’il fallait un avocat alliant une grande culture humaniste à la rigueur du juriste et ayant une parfaite connaissance du monde des affaires.

C’est de cet enseignement dont la démocratie a besoin.

Le Juge Giovanni FALCONE précisait lui-même :

«  Le trafic de drogue entraine le recyclage …

Les manœuvres financières nécessaires à rapatrier cet argent sale ne pouvant être intégralement effectuées par les organisations elles-mêmes  – elles manquent de connaissances techniques – Ce sont des experts de la finance internationale qui s’en charge ».

En réalité, ces experts financiers n’ont pu exercer leurs talents qu’en détournant les normes juridiques et comptables pour voire peu à peu, en favorisant l’instauration de celles qui facilitent la pénétration de l’argent criminel dans l’économie légale et assurent la prééminence du pouvoir financier par l’intermédiaire de la spéculation.

Il est évident que ceux qui ont apporté leur connaissance juridique et comptable à faciliter cette pénétration de l’argent criminel, ont obtenu en retour des gains financiers sans aucune mesure avec la rémunération que justifie le service rendu à toute personne physique ou morale soucieuse du respect de la loi et de la règle de droit.

Sur le plan juridique les institutions existent, dont l’origine pouvait remonter à l’antiquité, ayant pour finalité de constituer des suretés assurant la préservation du patrimoine en cas de risque commercial ou industriel.

Le contrat fiduciaire a permis ainsi de créer un écran dont l’opacité n’avait sans doute pas initialement pour but de favoriser les activités délictuelles voire criminelles.

De la même façon les trusts, les fondations, voire les fonds d’investissement ont permis l’éclosion des personnes morales dissimulant l’identité des véritables détenteurs des moyens financiers dont disposent ces institutions pour spéculer sur les marchés, conquérir des pans entiers de l’économie mondiale.

Mais ces instruments ne peuvent être utilisés qu’à la condition que des opérateurs, avocats, banquiers, cabinets d’audit, acceptent en dehors de toute règle déontologique et morale de prêter leur compétence et honorabilité à l’édification de cette œuvre criminelle et anti-démocratique.

La raison est fort simple, elle procède, bien entendu d’une absence totale de scrupules et de l’appât du gain, d’autant plus important qu’il est favorisé par le milieu socio-culturel ou, voire par le pouvoir politique en place.

En effet, tandis que les états perdent leur souveraineté au profit d’intérêts particuliers, beaucoup d’autres états ne conservent leur souveraineté qu’au profit de ces mêmes intérêts particuliers, il s’agit des paradis fiscaux.

Autres institutions dont le parcours a toujours été chaotique, mais dont l’apogée est atteinte avec le blanchiment et la mondialisation, la Bourse.

La Bourse ayant participé peu ou trop au financement des entreprises, à leurs investissements, assurant le développement d’un capitalisme industriel et commercial, s’est métamorphosé en marché financier dont les entreprises sont devenues un instrument de manipulation et de spéculation.

Des professeurs d’économie sont aujourd’hui unanimes pour admettre que cette financiarisation a détruit les entreprises, leur culture et leur savoir- faire, les emplois, et bien entendu fausser les règles élémentaires de la science économique.

Quant aux mathématiques, leur utilisation à des fins spéculatives est inscrite dans l’histoire de la Bourse.

Aujourd’hui, quelle meilleure association que celle des mathématiques et des ordinateurs pour permettre aux bénéficiaires de cette manne financière criminelle de s’exonérer de toute responsabilité en s’abritant derrière la complexité des calculs et la vitesse fulgurante de l’information par la voie électronique.

Quant à la comptabilité, elle a renié ses lettres de noblesse, celles qui procèdent des anciens articles 9 et suivants du Code de Commerce, repris sous les articles L123-12 et suivants de ce même Code de Commerce.

La comptabilité étant devenue le passage obligé du diktat imposé par les marchés financiers, il n’était plus question de présenter des comptes annuels réguliers, sincères donnant une image fidèle du patrimoine de la situation financière et du résultat de l’entreprise tel que l’édicte l’article L123-14 DU Code de Commerce.

C’est ce qui explique le débat toujours d’actualité sur les nouvelles normes comptables opposant notamment une approche fondée sur le cours historique et l’approche fondée sur la valeur du marché, c’est-à-dire celle permettant une manipulation favorisant la prise de contrôle de certaines entreprises ainsi que la spéculation.

Un exemple de la corruption des règles comptables et juridiques, l’utilisation abusive de la titrisation laquelle consiste effectivement à séparer le risque du crédit, lequel risque est transféré dans les produits dérivés non réglementés.

L’évolution des normes comptables traduit parfaitement cette déconnexion, non seulement avec les règles fondamentales édictées par le Code de Commerce, mais également avec la loi et par conséquent l’ordre public.

Cette déconnexion est volontaire, elle participe de la volonté d’empêcher, sur le plan moral et sur le plan juridique, de qualifier des agissements et des faits que sanctionne la loi pénale.

Dans la plupart des cas, ces manipulations, la sophistication des produits financiers justifient la qualification pénale d’abus de confiance, d’escroquerie, de blanchiment de l’argent du crime.

A ce titre, il convient de rappeler une controverse essentielle et trop longtemps occultée, celle qui intéresse la notion même de blanchiment.

En effet, la qualification de blanchiment ne doit concerner que les produits financiers provenant d’activités criminelles au sens pénal du terme.

La création d’un délit général de blanchiment, lequel va recouvrir des crimes et des délits présentant une nature et une gravité d’un degré tout à fait différent, constitue une difficulté majeure tant sur le plan moral que sur le plan juridique pour la cohésion du pacte social.

Peut-on faire admettre aux citoyens que la qualification de blanchiment puisse s’appliquer indifféremment à l’abus de bien social, à la fraude fiscale et à une activité criminelle.

Cette assimilation aboutit d’une certaine façon à banaliser le blanchiment de l’argent provenant d’activités criminelles et à placer sur le même plan les infractions voire des délits qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques et surtout qui n’ont pas les mêmes conséquences sur le plan social.

L’activité criminelle, a fortiori, lorsqu’elle émane d’organisations et de ses complices exige de l’Etat qu’il mette en œuvre les moyens dont disposent les institutions de la République pour lutter contre toutes les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation tels que définis par l’article 410-1 du Code Pénal.

Les lois existent, encore faut-il que les institutions qui existent les appliquent.

Roland SANVITI

 

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