Des banques sont passées sous le contrôle d’organisations criminelles

Dans son ouvrage consacré à la finance criminelle, Marie-Christine DUPUIS rappelle que sur le plan macro-économique, le blanchissement de l’argent sale, et par conséquent l’importance des flux en jeux, inquiète les experts qui commencent à en mesurer les effets néfastes sur l’ensemble de l’économie mondiale :

« La confiscation des revenus criminels nuit à la répartition normale des richesses et donc à la croissance mondiale. Par ailleurs, l’afflux d’argent sale peut localement, déstabiliser un marché voire une économie ».

Sachant du blanchissement et du narco-traffic, Marie-Christine DUPUIS rappelle que :

« le lien entre narco-trafic et blanchiment tient dans une équation très simple : le trafic de stupéfiants contribuerait à hauteur d’au moins 50 % dans la création des flux d’argent noir qui sont recyclés chaque année ».

L’ouvrage de Marie-Christine DUPUIS consacré à la finance criminelle présente un intérêt majeur puisqu’il s’appuie sur des rapports officiels et, surtout parce qu’il ne néglige ni les aspects macro-économiques, ni les aspects géopolitiques et stratégiques, ni surtout l’existence des protagonistes qui sont, en réalité, les véritables bénéficiaires de cette manne financière criminelle.

C’est ainsi que Marie-Christine DUPUIS souligne le simple fait que des banques sont effectivement passées sous le contrôle d’organisations criminelles et qu’il en est de même pour ce qui concerne des établissements financiers, des compagnies d’assurances.

(Marie-Christine DUPUIS, « Finance criminelle », Editions PUF)

 

De l’argent de la drogue pour sauver les banques euro-américaines

Ainsi, en mai 2012, le site IRIB French Radio indique que  le Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) de 2002 à 2010, Antonio Maria Costa a fait la Une des quotidiens internationaux en janvier 2009, lorsqu’il a déclaré que des flux massifs d’argent de la drogue sont venus sauver de la faillite les grandes banques américaines et européennes au moment où le marché interbancaire était paralysé.

Economiste à l’Onu puis en poste à l’OCDE, Monsieur Costa a été pendant 40 ans un observateur privilégié de l’intégration financière du crime organisé et l’un des principaux artisans de la lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue. Il s’est entretenu avec notre confrère de l’ EIR Andrew Spannaus le 12 avril 2012 en Italie, et livre quelques unes de ses conclusions.

A l’origine, la mafia EIR : Monsieur Costa, en 2007 et 2008, le système bancaire transatlantique s’est trouvé paralysé lorsque le marché interbancaire a cessé de fonctionner. Vous avez affirmé par la suite que de l’argent provenant du trafic international de stupéfiants avait été introduit pour pallier au manque de liquidités dans le système financier. Pouvez-vous nous en dire plus et détailler les liens existant entre l’argent de la drogue et les banques ?

Monsieur Costa : « Je dois pour cela retourner aux origines de toute l’affaire, et sur les efforts visant à nettoyer le système bancaire de l’infiltration de la mafia. Revenons donc au siècle précédent. La relation entre le système bancaire et la mafia a commencé au cours des années 1960 et 1970. Au cours de cette période, la mafia apportait de l’argent comptant en grande quantité, même si ce n’était aussi grand qu’à l’heure actuelle car l’activité criminelle internationale était alors beaucoup plus faible. Il s’agissait essentiellement de l’Italie, et de l’Amérique du Nord, avec quelques autres affiliations mais plus limitées en taille. Avec l’ouverture progressive des frontières, des communications et des affaires, au cours des années 70 et 80, le crime organisé, qui avait réussi à s’implanter également à l’extérieur de l’Italie, commença à utiliser le système bancaire pour transférer des actifs et déplacer son argent à travers le monde. C’est à ce moment là – au début des années 80 – alors que je me trouvais à l’OCDE à Paris, que nous avons commencé à apercevoir un recyclage significatif d’actifs de la mafia à travers le système bancaire. Nous avons donc lancer une première enquête en 1984, conduisant à la publication d’un rapport clé que j’ai personnellement soumis au sommet du G7. Les représentants du G7 approuvèrent alors l’établissement de la première et plus fameuse institution spécialisée dans la lutte contre le blanchiment de l’argent sale : la Financial Action Task Force. La FATF, dont je suis l’un des fondateurs, a très vite fait des recommandations très précises. Vos lecteurs sont peut-être familiers avec ceci. Ces mesures commencèrent à se faire sentir, lentement et progressivement, au moins dans les institutions financières plus importantes, des deux côtés de l’Atlantique mais pas seulement. Grâce à ces mesures, le recyclage d’argent criminel à travers le système bancaire fut réduit de manière significative. Quelques années plus tard, disons en 2002 et 2003, la première crise eut lieu avec l’éclatement de la bulle internet – et le système bancaire, qui s’était énormément étendu avec la mondialisation, commença et être infiltré à nouveau par des actifs criminels. Plus particulièrement, les mécanismes de contrôle anti-blanchiment qui avaient été très efficaces en Europe et en Amérique du Nord au cours des années 90 se trouvèrent affaiblis de manière significative dans plusieurs juridictions offshore, qui étaient beaucoup moins solides. Ceci permit à un nouveau cycle de pénétration par l’argent du crime de se mettre en marche. La crise financière de 2008, qui est toujours en cours, frappa l’ensemble du secteur bancaire transatlantique. Le manque de liquidités associé à cette crise, l’hésitation des banques à se prêter entre elles et d’autres facteurs offrit aux institutions criminelles une possibilité inespérée de recycler d’immenses sommes en liquide qu’elles avaient accumulées en raison des obstacles au recyclage d’argent sale au cours des années précédentes. Nous parlons de la période 2008-2011, pendant laquelle le besoin des banques en liquidités et les surplus du crime organisé créa une opportunité extraordinaire pour un mariage de convenance, permettant au crime organisé de pénétrer le secteur bancaire. Il y a eu plusieurs événements d’importance. Le cas de la banque Wachovia [4ème réseau bancaire aux Etats-Unis et impliquée via sa branche londonienne - ndlr] est le plus révélateur. Selon le département américain de la Justice, Wachovia avait recyclé 480 millions de dollars sur une période de trois ans. C’était le cas le plus sérieux, même s’il y a eu d’autres cas similaires, peut-être pas en terme de taille, mais touchant des institutions connues en Europe et en Amérique du Nord. Le plus tragique dans l’affaire Wachovia c’est que les responsables du recyclage d’argent de la drogue en provenance du Mexique ont été relâchés sans sanctions. Si cela n’ouvre pas la porte à plus de comportements criminels de ce genre, il est néanmoins très clair – et ici je me déplace sur un autre terrain qui est celui de la lutte contre le trafic de stupéfiant – que le principal instrument dans le combat contre le trafic que constitue la traque de l’argent sale et sa saisie, est désormais perdu…. » 

 

 

 

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