« Si la justice vient à manquer, que sont les royaumes sinon de vastes brigandages ? »
Saint Augustin
Pour la plupart d’entre nous, il était totalement incompréhensible qu’il ne soit pas rendu hommage chaque année à ces femmes et à ces hommes.
Il existe des monuments aux morts qui entretiennent ce souvenir en gravant dans le marbre ou dans la pierre le nom de ceux qui ont été sacrifiés sur un champ de bataille.
Ceux qui se consacrent à l’étude du pouvoir depuis le début du vingtième siècle ne pouvaient manquer d’établir un constat : c’est une guerre qui dure depuis le début de la société humaine.
C’est une guerre livrée pour le pouvoir.
Pour sa conservation.
Pour sa transmission.
Pour la satisfaction immédiate de celui qui l’exerce lui permettant d’exorciser peu ou prou la peur de la mort.
Cette peur, certains ont choisi de la donner pour asseoir leur pouvoir, c’est une culture de mort qui se décline :
- par le trafic des êtres humains, des femmes, des enfants, de leurs organes,
- par le vol, le racket,
- l’empoisonnement des eaux, des terres, non seulement par des ordures ménagères et des pesticides, mais également par des produits industriels dont le retraitement serait trop coûteux et viendrait abaisser les bénéfices et par conséquent les dividendes des actionnaires.
Le point d’orgue a été atteint avec le trafic de la drogue.
Ce trafic, qui permet de rendre esclave tout être humain, de corrompre tout homme politique, est devenu un véritable crime contre l’humanité.
Le terme de guerre pourrait apparaître impropre, mais nous sommes au début du vingt et unième siècle et pour les juristes, la guerre est la forme la plus accomplie de la situation de non-droit.
L’histoire de l’humanité, et notamment l’histoire de France, a été écrite au rythme des batailles et des guerres.
Toute guerre a été un exutoire, une forge, un creuset, mettant en présence des appétits de puissance, des lâchetés, des mensonges mais aussi des espoirs de liberté, de progrès, du courage et du sacrifice.
Nos grands humanistes, notamment Bergson, Valery, se sont émus de l’utilisation à des fins belliqueuses des progrès de la science « mortellement atteinte par la barbarie de ses applications ».
La mondialisation a toujours existé, le crime organisé aussi.
Quelle est la différence aujourd’hui ?
C’est encore la science et la technique qui nous apportent la réponse.
Tel territoire de la tribu, du clan, du seigneur féodal, était en clos, dans un champ, dans des montagnes, est aujourd’hui étendu à la taille d’un continent voire de la planète.
L’informatique, internet, et de même que la découverte du radium par la famille Curie a permis de traiter des cancers et de créer la bombe atomique, de même l’informatique et internet ont accéléré le processus de communication et de réflexion mais ont aussi favorisé la manipulation des marchés financiers, la dématérialisation de l’économie devenue virtuelle pour la majeure partie des citoyens mais bien sonnante et trébuchante pour une minorité d’entre eux.
Cette nouvelle forme de guerre encourage la lâcheté, le mensonge, manipule les foules, détourne les droits de l’Homme au service d’un enrichissement fondé sur le vol et sur le crime.
Il n’y a aucune intelligence, aucun courage, il y a une absence totale de scrupules et c’est dans cette absence de scrupules que s’inscrit cette nouvelle hiérarchie de la médiocrité qui mène à la décadence d’une civilisation :
- Ceux, trop lâches pour afficher leur soif d’argent et de pouvoir, se dissimulent dans des institutions et cèdent à la corruption.
- Ceux qui la dissimulent sont souvent dans la politique et font le contraire de ce qu’ils disent et de ce qu’ils promettent.
- Ceux qui ont fait le choix de tuer pour exister font partie des organisations criminelles.
Face à cette engeance, il faut des institutions et par conséquent des hommes au service de ces institutions adaptées à la mesure de ces enjeux.
La démocratie est d’essence aristocratique, elle suppose le respect des valeurs chrétiennes, du courage, de l’humilité.
Or, nous sommes revenus à un système tribal, féodal, si tant est que nous n’en soyons jamais sortis.
Nous sommes aux balbutiements de la démocratie et rendons hommage à Tocqueville :
« Partout on a vu divers incidents de la vie des peuples tourner au profit de la démocratie, tous les hommes l’ont aidée de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceux qui ont combattu pour elle et ceux-mêmes qui se sont déclarés ses ennemis ; tous ont été poussés pêle-mêle dans la même voie et tous ont travaillé en commun les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu. »
Aujourd’hui, il écrirait : « De l’échec de la démocratie en Amérique ».
De la même façon, la qualification de crime organisé a évolué du seul fait que certains mouvements sont qualifiés improprement de terroristes tandis qu’il s’agit de crime organisé.
L’exemple de beaucoup d’imams impuissants à dissuader de jeunes musulmans de se livrer au trafic de la drogue tandis que pour eux, cette revendication religieuse n’est qu’un prétexte pour leur permettre de financer leurs guerres en achetant des armes, en contrôlant des territoires et une partie de l’économie d’un pays à des fins totalement personnelles et le plus souvent au détriment de leur communauté qui en est la première victime.
Nous sommes impuissants à lutter contre le crime organisé, il a gagné la bataille du vingtième siècle notamment au travers de la finance.
La crise financière aura eu au moins ce mérite : instruire les citoyens, combler leur ignorance sur le pouvoir de l’argent.
Les citoyens vont exiger la transparence, condition première de la démocratie, ils vont exiger la justice, celle qui permet de qualifier un acte, un fait, de le récompenser ou de le sanctionner.
Les seules vraies questions :
- D’où vient cet argent ?
- Qu’en faites-vous ?
La réponse nous a d’ores et déjà été apportée en 1998 lors de la publication de l’ouvrage « Un monde sans loi » préfacé et écrit par des magistrats sous la direction de Jean de Maillard, cet ouvrage à la portée pédagogique certaine faisait écho à l’appel de Genève lancé par des magistrats européens.
A l’époque déjà, dans la préface, il était rappelé : « sur les marchés financiers, tout est désormais permis parce que rien ne peut plus être interdit… »
« Notre responsabilité à nous magistrats est seulement de témoigner comme ici de notre impuissance. »
Près de vingt ans plus tard, une réponse plus brutale mais aussi plus réaliste était apportée par Roberto SAVIANO dans son ouvrage « Gomorra ».
Retenons un extrait de cet ouvrage qui illustre parfaitement le propos, lui confère sa dimension universelle :
« Pourquoi crever de dépression, pourquoi chercher un travail qui permet tout juste de survivre, pourquoi trimer à mi-temps dans un centre d’appels ? Plutôt devenir chef d’entreprise. Un vrai. Capable de faire des affaires avec tout et de gagner de l’argent même avec rien. Ernst Jünger dirait que la grandeur est exposée à la tempête : des mots que les parrains, les entrepreneurs de la camorra, pourraient faire leurs. Etre au cœur de l’action, au centre du pouvoir. Tout utiliser comme un simple moyen et n’avoir que soi pour fin. Ceux qui prétendent que c’est immoral, qu’il ne peut y avoir d’existence humaine sans éthique, que l’économie doit avoir des limites et obéir à des règles, ceux-là n’ont pas réussi à prendre le pouvoir, ils ont été vaincus par le marché. L’éthique est le frein des perdants, la protection des vaincus, la justification morale de ceux qui n’ont pas tout su miser et tout rafler. »
Cette inversion des valeurs est nécessairement fondée sur l’absence de scrupules, sur l’apologie d’une forme de maladie mentale qui commence à être abordée dans le cadre de la neuro-éthique.
Lorsque l’un des assassins du juge Giovanni FALCONE a été arrêté, les carabiniers ont dû le protéger parce que les personnes de la société civile qui étaient présentes ont voulu le massacrer.
Ces femmes et ces hommes savaient que Brusca avait enlevé le fils d’un repenti, l’avait détenu pendant deux ans et ce garçon de quinze ans avait eu le bras coupé et son corps avait été dissous dans l’acide.
C’est à ce prix que les organisations criminelles ont pris le contrôle de la finance mondiale.
La relation de cause à effet existe puisque l’ouvrage « Un monde sans loi » a le mérite de rappeler que, pour pouvoir manipuler les marchés financiers, il faut effectivement disposer de sommes considérables dont l’injection dans les circuits économiques et financiers vient perturber toute logique, tout raisonnement.
Lorsqu’une banque américaine blanchit 380 milliards de dollars des cartels mexicains, il faut qu’effectivement une grande quantité de drogues ait été dispersée sur la planète et ait accompli son œuvre de mort.
La démocratie nous impose ce choix.
Encore faut-il qu’il s’exerce en toute connaissance de cause puisqu’il rend chaque citoyen responsable.
C’est pourquoi la justice et la démocratie ont besoin de tous pour permettre de connaître, de faire connaître, de qualifier, de juger et de sanctionner.
Puisque nous sommes tous inégaux dans cette guerre, rendons au moins hommage à ceux qui la mènent non dans leur intérêt personnel, mais dans l’intérêt général.
Encore faut-il accepter d’entendre et de voir.
C’est pourquoi il faut citer Nietzsche dans Ecce Uomo :
« Quelle dose de vérité êtes-vous capables d’absorber ? ».
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